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Paris et par tout le royaume avec une licence et une rapidité qu’on ne se mit en aucun soin d’arrêter ; tandis qu’à la cour et dans le grand monde, les libertins et le bel air applaudit, et que les politiques raffinés, qui connoissoient mieux le terrain, s’y joignirent et entraînèrent si bien la multitude qu’en six jours il devint honteux de parler avec quelque mesure du fils de la maison dans sa maison paternelle. En huit cela devint dangereux, parce que les chefs de meute, encouragés par le succès de leur cabale si bien organisée, commencèrent à se montrer, à prendre fait et cause, et à laisser sentir qu’ils la regardoient tellement comme la leur que quiconque oseroit contredire auroit tôt ou tard affaire à eux.

Dès avant ce fracas, le duc de Beauvilliers, rempli de tout ce que je lui avois dit dans les jardins de Marly sur la destination de Mgr le duc de Bourgogne, et informé par ses lettres de Flandre étoit venu dans ma chambre nie faire comme une amende honorable, le cœur pénétré de douleur. Je me contentai de le prier de comprendre qu’on ne gagnoit rien en place à ignorer tout ce qui se passoit à la cour, les intérêts, les liaisons, les vues, les motifs, et de se persuader enfin que mon éloignement du rang, des prétentions, des vices, des personnes, ne me faisoit point bâtir des chimères. Je convins avec lui, lors du fracas, qu’il étoit hors du vraisemblable ; mais je le priai de s’avouer aussi que les choses les moins croyables arrivoient plus souvent qu’on ne pensoit, et n’étoient pas au-dessus de la prévoyance, quand, au temple de l’ambition, on ne captive pas son esprit jusqu’à méconnoître les ambitieux, et à se faire un scrupule de croire des gens capables de tout ce qu’elle leur inspire, dans des places, dans une faveur et dans des apparences favorables à y réussir. Nous raisonnâmes beaucoup, et à bien des reprises, lui, le duc de Chevreuse et moi, sur les moyens d’ouvrir les yeux au roi et d’arrêter cette furie. Ce n’étoit pas que tout fût corrompu à la cour en faveur du duc de