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lieu de m’y étendre lorsqu’il en sera temps. Achevons la lettre. « Voilà, dit-elle, la pure vérité, la même que M. de Vendôme a mandée au roi, et que vous pouvez débiter sur mon compte. Je suis Romain, c’est-à-dire d’une race à dire la vérité. In civitate omnium gnara et nihil reticente, dit notre Tacite. »

Après avoir suivi mot à mot Albéroni, comme je viens de faire, et montré, avec une évidence à laquelle on ne se peut refuser, que sa lettre n’est qu’un tissu d’artifices et de mensonges, les uns adroits, les autres hardis, sans mélange d’aucune trace de vérité, il n’y a plus à répondre à cette forfanterie. Jusqu’à son origine qu’il ose débiter en preuve est fausse, outre qu’il y a bien loin de Rome du temps de Tacite et de son histoire à Rome d’aujourd’hui, et des personnages peints dans cette histoire à un homme de la lie du peuple, tel qu’Albéroni. Avec un peu de jugement, il eût évité de citer celui qui nous a montré Séjan dans tous ses vices, ses desseins pernicieux, sa superbe, l’abus si dangereux de sa faveur, et qui en opposite nous a laissé la vie d’Agricola, également bon citoyen, et véritablement grand dans la paix et dans la guerre. On n’a pas peine à voir auquel des deux M. de Vendôme ressemble le plus. Mais Albéroni Romain ! Il étoit d’un petit village auprès de Bayonne, où ses parents, vinrent d’Italie s’habituer. Pourquoi une transplantation si éloignée ? Elle sent bien le crime et la fuite de la punition, mais je l’ignore, parce qu’on ne s’est pas avisé encore de donner l’histoire des Albéroni. Son père y vivoit de son métier de jardinier et vendoit tous les jours des fruits, et plus encore des légumes, à Bayonne, où mille gens l’ont ouï dire à leur père, et où quelques-uns encore l’ont vu. Celui-ci s’en retourna dans son village originaire, près de Parme. J’ai raconté ailleurs comment il fut connu du duc de Parme, qui lui fit prendre le petit collet pour qu’il pût approcher de ses antichambres, à l’occasion de quoi il s’en servit auprès de M. de Vendôme, et par quelles bassesses