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que, tout le monde à cheval, avec une précipitation étonnante, chacun gagne Gand, jusqu’à conseiller aux princes de prendre des chevaux de poste à Gand, pour gagner Ypres. »

Ce verbiage est bien artificieux, mais Albéroni s’y trahit lui-même du premier mot. « A peine eut-il dit, etc. » Cela montre bien que celui à qui il le dit n’étoit le maître de rien, puisqu’il fallut attendre cette parole de M. de Vendôme pour que la retraite se fit. Par conséquent, c’étoit à lui à la régler, à l’ordonner, à prescrire aux officiers généraux qui étoient là, les dispositions de cette retraite, et en envoyer les ordres à ceux qui n’y étoient pas. Attendoit-il cela de la capacité d’un prince de l’âge de Mgr le duc de Bourgogne, ou de son autorité qu’il lui avoit si nettement et si fraîchement déclarée être nulle en sa présence ? L’attendoit-il du maréchal de Matignon qui, à l’opprobre de son office, lui étoit subordonné en tout ? L’attendoit-il des officiers généraux qui se trouvèrent là ? En un mot, on voit un homme qui ne sait plus depuis longtemps où il en est, qui ne conserve de sens que pour jeter de la poudre aux yeux et rejeter ses fautes et sa honte sur Mgr le duc de Bourgogne ; qui dit que l’armée se peut retirer et qu’il faut aller à Gand ; qui n’ajoute pas un mot de plus, et qui en laisse l’ordre et la manière à l’abandon et au hasard. Après cela, Albéroni a bonne grâce de dire que chacun s’en alla avec précipitation ! Que peuvent devenir des gens qui n’ont point d’ordre, qui n’osent en demander à un général qu’ils voient avoir perdu la tramontane et ne savoir ce qu’il dit, être furieux jusqu’à insulter l’héritier nécessaire de la couronne ? Il est aisé de comprendre que personne ne se hasarda à aucune question, que chacun se hâta de s’éloigner d’un homme aussi dangereux, mais aussi roide à la repartie, et que dans ce chaos nocturne, où personne ne reconnoissoit ni sa division, ni même sa troupe, chacun devint ce qu’il put, regardant seulement Gand comme le lieu où se rassembler.