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fuyards qui diminuoient encore ce petit nombre ; peu de tués et de blessés, point de fuyards parmi les victorieux, comme il arrive toujours. L’autre moitié de l’armée seroit arrivée, mais l’auroit-on su placer à propos de nuit ? Elle n’auroit donc approché que de jour, et cependant le combat recommençoit avec tous les désavantages que je viens de remarquer. Malgré ce renfort, qui auroit démêlé la confusion de ce renouvellement de combat, puisque la journée qui finissoit n’avoit cessé de l’accroître ? C’étoit donc achever de perdre cette première partie de l’armée, sans nulle espérance raisonnable d’en tirer aucun succès, et s’exposer ensuite avec l’autre moitié à la totalité de l’armée victorieuse.

Voilà ce qui empêcha personne d’être de l’avis de M. de Vendôme, outre qu’il n’y eut aucun de ce qui l’entendit qui ne fût indigné de l’opiniâtreté avec laquelle il soutint qu’il n’étoit point battu, excepté le peu de ceux qui, comme le comte d’Évreux, lui étoient vendus sans réserve. M. de Vendôme parloit tellement contre sa pensée qu’il céda contre son orgueil et sa coutume. Il vouloit ou ce qu’il n’est pas permis de penser, ou par une fanfaronnade si déplacée montrer qu’il n’étoit point abattu, et faire accroire qu’il avoit des ressources dans sa capacité, quoique si éclipsée avant et pendant toute l’action. Il devoit bien sentir que qui que ce soit ne se laisseroit persuader qu’il n’y avoit rien de perdu, qu’il fût raisonnable ni même possible de demeurer toute la nuit comme on étoit, et de se commettre de nouveau, dès qu’il seroit jour, à recommencer un combat aussi désavantageux. Il ne chercha donc qu’à imposer sur son courage de cœur et d’esprit, et à se préparer pour la suite de quoi donner du spécieux aux ignorants et aux sots, et à sa cabale de quoi dire, et rejeter toute la honte sur Mgr le duc de Bourgogne, par l’énorme propos qu’il osa lui tenir, et qu’Albéroni remet adroitement sous les yeux par ces paroles : « A peine, continue sa lettre, eut-il (Vendôme) dit à M. le duc de Bourgogne, que l’armée n’avoit qu’à se retirer,