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que les fuyards qui pussent gagner. Nul ordre cependant de M. de Vendôme, nulle ressource de sa part que sa valeur, mais sans vue, sans dessein, sinon de vaincre, mais vaincre le triple de soi à force de bras sans aucun moyen de guerre, et dans ce chaos sans pouvoir en exécuter aucun. M. de Vendôme commandoit seul, toutes ses fautes ne se pouvoient mettre sur le compte de personne ; voilà pourquoi Albéroni saute le combat à joints pieds. Suivons-le pendant la retraite.

« Pour ce qui regarde la retraite, dit-il, M. de Vendôme opina de ne la point faire de nuit ; mais comme de ce sentiment il n’y avoit que lui et le comte d’Évreux, il fallut céder. »

Voilà la première et seule vérité qui se trouve dans toute cette lettre, mais frauduleusement estropiée. Non seulement Vendôme opina à ne se point retirer de nuit, mais à ne se point retirer du tout, avec ses sproposito ordinaires, à disputer qu’il n’y avoit rien de perdu, qu’il se falloit tenir comme on pourroit chacun où il se trouvoit, et recommencer le combat dès qu’il seroit jour. Au chaos qui étoit dans les troupes, qui ne pouvoit au moins diminuer pendant la nuit, sous le feu des ennemis au triple d’elles, mêlées avec eux en des endroits, enveloppées en d’autres, à portée de l’être encore plus par la supériorité du nombre et l’audace du succès, sans qu’on pût y donner aucun ordre, ni peut-être s’en apercevoir, comme avant la nuit il seroit arrivé à la maison du roi sans l’avis de l’officier ennemi pris par les chevau-légers, à qui il porta un ordre les prenant pour des siens, on laisse à penser ce que seroient devenues nos troupes pendant la nuit, et de quel avantage on se pouvoit flatter d’un combat si étrangement inégal à recommencer avec le jour. La moitié de l’armée n’étant pas là, de l’aveu de M. de Vendôme, contre toute celle des ennemis. Cette moitié, battue partout, et partout en détail ; combien de tués, de prisonniers, de