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celle de M. le Prince, dont elle s’étoit toujours piquée et prévalue et qu’elle savoit bien n’exister point. C’étoit donc là un étrange affront.

Son mari étoit un fort galant homme à M. le Prince père et fils, de tout temps, qu’une très belle action fit chevalier de l’ordre, que j’ai racontée ici quelque part, mais alors fort vieux et sourd, qu’on ne voyoit plus et qui laissoit tout faire à sa femme.

C’étoit une grande créature de peu de chose, dont le nom étoit Raimond, souple, fine, hardie, audacieuse, entreprenante, et d’une intrigue de toutes les façons, qui avoit tiré tous les meilleurs partis de l’hôtel de Condé, et qui avoit si bien courtisé Mme du Maine qu’elle avoit marié sa fille unique au duc d’Albermale, second bâtard du roi Jacques II, et qui ne bougeoit de Sceaux. Elle passoit pour riche, et il se trouva qu’ils n’avoient rien. Elle hasarda sous cette protection des manières de princesse du sang, dont le duc de Berwick ne lui avoit pas donné l’exemple, et qui aussi ne durèrent pas longtemps. Elle devint bientôt veuve et sans enfants, et se remaria depuis à Mahoni, lieutenant général irlandois, qui se signala tant à la surprise et reprise de Crémone, où j’en ai parlé. Le mariage fut tenu secret pour conserver son nom et son rang de duchesse ; et a vécu et est morte il n’y a pas longtemps dans une grande indigence et dans la plus profonde obscurité.

Pour en revenir à l’affaire, le bisaïeul de M. de Lussan avoit épousé une Budos en 1558, et MM. de Disimieu, gens de qualité de Dauphine, étoient fils d’une sœur de la Budos, femme du dernier connétable de Montmorency, et du marquis de Portes, beau-père de mon père, par conséquent, comme la première duchesse de Saint-Simon, cousins germains de la mère de M. le Prince le héros. C’étoit bien là une parenté réelle et proche, et non pas celle de Lussan. Ce fut aussi ce cruel soubresaut qui fit toute l’aigreur de l’affaire. L’aîné de ces deux Disimieu n’avoit laissé qu’une fille,