Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/304

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et fit demander au roi de trouver bon qu’il en prît possession. M. le Prince s’y opposa fortement pour les droits de Mme la Princesse et l’emporta.

M. le duc d’Orléans s’étoit arrêté à Madrid plus longtemps qu’il n’avoit cru. Rien de prêt d’aucune sorte, indigence de tout, négligence encore plus grande. Il fallut chercher des moyens d’y suppléer, et cela n’étoit pas facile ; c’est ce qui allongea son séjour. On en prit occasion à Paris de faire courir le bruit qu’il étoit amoureux de la reine. M. le Duc, enragé de son oisiveté et de la réputation que M. le duc d’Orléans acquéroit, Mme la Duchesse, qui le haïssait pour avoir été trop bien ensemble, se rendirent les promoteurs de ce bruit à la cour, à la ville, et qui gagna les provinces et les pays étrangers, excepté l’Espagne, où il n’en fut pas mention parce qu’il n’y avoit ni vérité ni apparence. M. d’Orléans y étoit occupé à des choses plus, sérieuses, et plût à Dieu eût-il été moins touché de trouver des obstacles aux choses les plus urgentes, ou que sa douleur lui eût laissé plus d’empire sur sa langue ! Un soir qu’après avoir travaillé tout le jour, comme il ne faisoit autre chose depuis son arrivée, à chercher des expédients pour subvenir à l’incurie extrême de tous préparatifs les plus indispensables pour mettre en campagne et y faire quelque chose, il se mit à table avec plusieurs seigneurs espagnols et des François de sa suite, tout occupé de son dépit qui tomboit sur Mme des Ursins qui gouvernoit tout, et qui n’avoit pas songé à la moindre des choses concernant la campagne. Le souper s’égaya et un peu trop. M. le duc d’Orléans, un peu en pointe de vin et toujours plein de son dépit, prit un verre, et regardant la compagnie (je fais excuse d’être si littéral, mais le mot ne peut se masquer) : « Messieurs, leur dit-il, je vous porte la santé du c..-capitaine et du c..-lieutenant. » Le propos saisit l’imagination des conviés ; personne pourtant, ni le prince lui-même, n’osa faire de commentaire, mais le rire gagna chacun et fut plus fort que la politique.