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vie qui lui convînt et qu’il pût continuer, sur quoi il exigea de moi un secret inviolable.

Il seroit inutile de rapporter ici ce que je lui dis pour détourner un homme de son âge et chargé de famille d’une résolution si téméraire. Je compris que je ne gagnerois rien que par degrés. Quoiqu’il n’eût rien que de très rebutant, et que je le sentisse tel plus souvent que personne, parce que je le voyois plus souvent et plus intimement, j’avoue que je [fus] dupe, et qu’il me fit pitié. Je crus que la confiance de son père, qui ne me cachoit rien, ni des affaires, ni de sa famille, et qui cent fois m’avoit déposé ses douleurs sur son fils ; que celle de sa mère, qui n’étoit pas moindre ; que cette intime liaison de sa femme avec la mienne ; que l’intérêt de ses enfants demandoient également de moi tous les soins possibles pour détourner une résolution qui seroit un coup de mort pour le chancelier et la chancelière, et qui seroit la perte de leur famille. Bientôt après je crus démêler qu’outre que ces sortes de résolutions sont souvent le fruit des grandes douleurs, il imaginoit en devoir une signalée à une si grande perte, et que, privé de l’appui qu’il tiroit de la considération de sa femme, il désespéroit de pouvoir se soutenir dans sa place. Ces mélanges, qui venoient de la sensibilité du cœur et de l’orgueil de l’esprit, me parurent former une résolution bien difficile à rompre. Je ne crus donc pas faire une infidélité de communiquer ce secret à Mme de Saint-Simon pour me servir de son sage conseil. Elle en jugea comme moi. Lui-même bientôt après s’en ouvrit à elle. Cette inquiétude me fit quitter bonne compagnie, et mes ouvrages de la Ferté et mes plants que j’étois allé voir à Noël, sur un accident qu’on crut qui emporteroit Mme de Pontchartrain, pour accourir à temps d’empêcher la démission. J’avois résolu de tâcher à la faire passer par les mains du chancelier. Cela lui étoit dû par toutes sortes de raisons, et c’étoit le meilleur moyen de l’arrêter.

La maladie, qui dura encore six mois, donna le temps à