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fois, mais il y dîna. À la vérité ce fut à la poste même, où l’archevêque se trouva avec tout ce qui étoit à Cambrai. On peut juger de la curiosité de cette entrevue, qui fut au milieu de tout le monde. Le jeune prince embrassa tendrement son précepteur à plusieurs reprises. Il lui dit tout haut qu’il n’oublieroit jamais les grandes obligations qu’il lui avoit, et sans jamais se parler bas, ne parla presque qu’à lui, et le feu de ses regards lancé dans les yeux de l’archevêque, qui suppléèrent à tout ce que le roi avoit interdit, eurent une éloquence avec ces premières paroles à l’archevêque ; qui enleva tous les spectateurs, et qui, malgré la disgrâce, grossirent alors et depuis la cour de l’archevêque de tout ce qui étoit de plus distingué et qui ; sous divers prétextes, de route et de séjour, s’empressoit à mériter d’avance ses bonnes grâces présentes et sa protection future.

M. le duc de Berry partit le 15, dîna à Senlis chez l’évêque, ne passa point par Cambrai, et joignit Mgr le duc de Bourgogne à Valenciennes le soir même qu’il y étoit arrivé. C’étoit là qu’étoit M. de Vendôme depuis son arrivée de la cour, et là qu’étoit le rendez-vous de tout le monde. Le roi d’Angleterre ne tarda pas de s’y rendre dans un incognito si précis toute la campagne, qu’il en devint scandaleux. Il mangea chez Mgr le duc de Bourgogne jusqu’à l’arrivée de son équipage. Il eut après chez lui une table de seize couverts où il invitoit et où il fut très gracieux, et mangea chez les officiers généraux qui l’en prièrent. Il choisit son poste, bien que volontaire, à la tête des troupes de sa nation, qui en furent comblées. Jusqu’aux Anglois de l’armée ennemie s’en sentirent de la satisfaction, et la laissèrent échapper. Ce prince vécut avec beaucoup de sagesse, mais fort parmi tout le monde, chercha à plaire et y réussit. Il acquit même l’estime et l’affection des troupes et des généraux par, son application et par toute la volonté qu’il montra. Il ne figura pas assez pour s’y étendre davantage. L’électeur gagna les bords du Rhin où le duc de Berwick l’étoit allé attendre.