Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/286

Cette page n’a pas encore été corrigée

chancelier et à M. de Beauvilliers ; je leur dis mon embarras, je leur fis aisément comprendre que je ne pouvois chasser le cardinal de Bouillon de chez moi ; que, comme il étoit vrai, je n’avois jamais eu avec lui aucun commerce et n’en avois encore actuellement aucun. Je me trouvai bien d’avoir pris cette précaution. À fort peu de jours de là, il fut parlé, au conseil, du cardinal de Bouillon à propos de ses procès perdus contre ces moines. Là-dessus le roi dit qu’il étoit bien longtemps à la Ferté ; que, si on vouloit le chicaner, on ne l’y laisseroit pas ; qu’il n’avoit pas permission d’approcher plus près de trente lieues, et qu’il n’y en a que vingt de Versailles à la Ferté. Le chancelier saisit ce mot, et après lui le duc de Beauvilliers pour me servir, et il parut que cela fut bien reçu. Enfin, la cour arrivée à Fontainebleau, le cardinal de Bouillon partit aussi de la Ferté, sans que pas un de ses gens sussent où il alloit. Il prit des chemins détournés, et il arriva enfin, toujours dans le même secret réservé à lui seul, à Auny près de Pontoise, où il demanda à coucher et où il fut reçu. C’étoit une maison de campagne du maréchal de Chamilly, qui étoit alors à la Rochelle avec sa femme, où il commandoit et dans les provinces voisines, à qui il n’en avoit ni écrit ni fait parler. C’étoit s’approcher de Paris bien plus que de la Ferté ; la cause en fut pitoyable.

Il avoit le prieuré de Saint-Martin de Pontoise, où il avoit dépensé des millions et fait une terrasse admirable sur l’Oise et des jardins magnifiques. Il aima tant cette maison, et encore par vanité, car je lui ai ouï dire que tout ce qui étoit des dehors étoit royal, que dans sa faveur il obtint, moyennant un échange, de détacher cette maison et quelques dépendances du prieuré et d’en faire un patrimoine, qui en effet, est demeuré à M. de Bouillon. Il n’avoit pu avoir permission d’y aller, et voulut au moins la revoir encore une fois par la chatière ; et il donna le misérable spectacle de l’aller considérer tous les jours, pendant les sept ou huit