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dîner du roi, par les fenêtres du jardin qui étoient toutes des portes, et comme au sortir de table le roi y entra à son ordinaire, suivi de ce qui avoit coutume d’y être admis à ces heures-là, Mme de Maintenon alla au-devant de lui contre sa coutume, lui parla bas, et l’emmena sans s’arrêter dans sa petite chambre, dont elle ferma la porte aussitôt. Mme de Roquelaure se jeta à ses pieds et lui demanda justice du prince de Léon dans toute son étendue. Le roi la releva avec la galanterie d’un prince à qui elle n’avoit pas été indifférente, et chercha à la consoler ; mais, comme elle insistoit toujours à demander justice, il lui demanda si elle connoissoit bien toute l’étendue de ce qu’elle vouloit, qui n’étoit rien moins que la tête du prince de Léon. Elle redoubla toujours ses mêmes instances, quoi que le roi lui pût dire, tellement que le roi lui promit enfin que, puisqu’elle le vouloit, elle auroit justice tout entière, et qu’il la lui promettoit. Avec cela, et force compliments, il la quitta et repassa droit chez lui, d’un air fort sérieux, sans s’arrêter à personne.

Monseigneur, les princesses et ce peu de dames qui étoient dans le premier cabinet avec lui et elles, qui entroient toujours dans la petite chambre, et qui cette fois étoient demeurés avec les dames, ne pouvoient comprendre ce qui causoit cette singularité unique, et l’inquiétude se joignit à la curiosité en voyant repasser le roi comme je viens de dire. Le hasard avoit fait que personne n’avoit vu entrer Mme de Roquelaure, et ils, en étoient [là] lorsque Mme de Maintenon sortit de la petite chambre, et apprit à Mgr et à Mme la duchesse de Bourgogne de quoi il s’agissoit. Cela se répandit incontinent dans la chambre, où la bonté de la cour brilla incontinent dans tout son lustre. À peine eut-on plaint un moment Mme de Roquelaure, que les uns par aversion des grands airs impérieux de cette pauvre mère, la plupart saisis du ridicule de l’enlèvement d’une créature que l’on savoit très laide et bossue par