Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/271

Cette page n’a pas encore été corrigée

cet équipage avec un laquais des deux bien instruit porteur de la lettre aux Filles de la Croix, le mardi matin, 29 mai, à l’heure qu’il savoit que Mme de La Vieuville les envoyoit chercher quand elle les vouloit avoir. Mlle de Roquelaure, qui avoit été avertie, porte la lettre à la supérieure, lui dit que Mme de La Vieuville l’envoie chercher seule, et si elle n’a rien à lui mander.

La supérieure accoutumée à cela, et la gouvernante aussi, ne prirent pas la peine de voir la lettre, et, avec le congé de la supérieure, sortent sur-le-champ, et montent dans le carrosse qui marcha aussitôt, et qui s’arrêta au tournant de la première rue, où le prince de Léon attendoit, qui ouvrit la portière, sauta dedans, et voilà le cocher à fouetter de son mieux, et la gouvernante, presque hors d’elle de ce qui arrivoit, à crier de toute sa force. Mais au premier cri, M. de Léon lui fourra un mouchoir dans la bouche, qu’il lui tint bien ferme. Ils arrivèrent de la sorte, et en fort peu de temps, aux Bruyères, près du Ménilmontant, maison de campagne du duc de Lorges, élevé [avec le prince de Léon], et de tout temps son ami intime, qui les y attendoit, avec le comte de Rieux, dont l’âge et la conduite s’accordoient mal ensemble, et qui étoit venu là pour servir de témoin avec le maître du logis. Il avoit un prêtre interdit et vagabond, Breton, tout prêt à les marier. Il dit la messe, et fit la célébration sur-le-champ, puis mon beau-frère mena ces beaux époux dans une belle chambre. Le lit et les toilettes y étoient préparées. On les déshabilla, on les coucha, on les laissa seuls deux ou trois heures, on leur donna ensuite un bon repas, après lequel ils mirent l’épousée dans le même carrosse qui l’avoit amenée, et sa gouvernante qui se désespéroit. Elles rentrèrent au couvent. Mlle de Roquelaure s’en alla tout délibérément dire à la supérieure tout ce qui venoit de se passer ; et sans la moindre émotion des cris, qui de la supérieure et de la gouvernante gagnèrent bientôt toute la maison, s’en alla tranquillement dans sa chambre