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Je ne sais par quel prodige il avoit fait une campagne aide de camp du roi, qui lui avoit donné un petit gouvernement en Bretagne. Il tenoit ses assises chez Mme de Ventadour, chez la duchesse du Lude et chez M. le Grand. Il ne sortoit point de ces lieux-là, et [allait] fort peu en d’autres. Sa fatuité se rebecquoit à l’écart en insolence, mais ménagée avec art, quand il n’étoit pas content des gens. Il étoit familier à manger dans la main. Avec tout cela, c’étoit un Breton qui n’étoit pas gentilhomme, et à qui les états en firent un jour l’affront. M. de La Trémoille qui présidoit me le conta. Il voulut faire opiner la noblesse. Les voix s’élevèrent confusément et crièrent qu’on fit sortir qui n’avoit pas droit d’opiner, qu’ont les plus pauvres et plus jeunes gentilshommes. M. de La Trémoille jeta les yeux partout, et dit qu’il ne voyoit là personne qui n’eût droit d’opiner. À ce mot toutes les voix se mirent à crier : « Lanjamet ! Lanjamet ! qu’il sorte ou nous n’opinerons point ; » et tout de suite Lanjamet sortit sans se défendre et sans prononcer un mot. Son effronterie de s’être fourré là pour s’en faire après un titre fut payée de cet affront. Il ne parut plus depuis aux états, mais il n’en revint pas moins impudent à la cour ; c’est-à-dire à Versailles, car il n’étoit pas sur le pied de Marly et de Meudon. Cette aventure apprit à M. de La Trémoille qu’il n’étoit pas gentilhomme. Sa femme, galante et veuve aussi d’un procureur, fut pour lui, quelque néant qu’il fût, un mariage honteux. Il ne laissa pas de la produire chez M. le Grand, dont par la suite elle brouilla toute la famille, et s’en fit chasser, et de presque partout où son mari l’avoit fourrée. Depuis la mort du roi, je ne sais ce qu’ils sont devenus, et je n’en ai ouï parler que sur cette brouillerie qui la fit chasser avec éclat de chez M. le Grand.

Louville se maria aussi dans ce temps-ci. Depuis son retour d’Espagne, il n’avoit songé qu’à raccommoder ses affaires, se bâtir très agréablement, mais sagement, à Louville,