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sur les bâtiments, dont elle étoit informée par les Noailles. Je craignis un coup de foudre subit pour Chamillart, et je ne crus pas m’en pouvoir reposer sur personne. Je l’en avertis, je le trouvai instruit et embarrassé. Il n’étoit pas temps de contester avec lui, et de lui reprocher d’avoir pris son parti trop vite et trop haut sur Bagnols, ni sa folle opiniâtreté sur ce régiment pour Choin ; il falloit aller au remède, et à temps. Je lui conseillai de parler dès le lendemain au roi, de lui dire que, quelque honoré qu’il fût de sa place, il y tenoit peu dans le triste état présent, mais qu’il tenoit infiniment à sa personne par son cœur et par reconnoissance ; qu’il n’y avoit biens ni fortuné pour lesquels il voulût lui donner une minute de peine ; qu’il voyoit avec douleur un orage se former contre lui qu’il n’avoit pas mérité, mais que, pour peu que le roi fût embarrassé de lui, ou qu’il en aimât mieux un autre en sa place, il la lui remettroit de tout son cœur, uniquement pour lui plaire et pour mériter la conservation de ses bontés, et de l’honneur de ses bonnes grâces qui lui étoient plus chères que nuls établissements, et sans lesquels il ne pourroit vivre. Je l’exhortai à n’en pas dire davantage, et sur ce ton, et avec cette force et ce dégagement ; de bien regarder cependant le roi entre deux yeux, dont le plus léger mouvement seroit en ce moment très significatif ; de saisir promptement ce qu’il lui répondroit, quand il ne seroit simplement qu’honnête ; surtout de ne pas insister à la retraite, et de se bien garder de la sottise de se vouloir faire prier. J’ajoutai qu’avec cette conduite, et à temps comme il étoit encore, j’osois lui répondre, sans être grand clerc à la cour, qu’il seroit bien reçu quand bien même il embarrasseroit le roi ; et que de cette époque ce seroit un nouveau bail passé avec lui, qui, sans en dire un seul mot, mais laissant faire le roi à l’égard de ceux qui l’attaqueroient, leur feroit tomber incontinent les armes des mains.

Chamillart goûta ma pensée ; je n’eus pas besoin de l’exorciser,