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ce même jour-là à Monseigneur qu’il avoit une question à lui faire, sur laquelle il vouloit savoir la vérité de lui. « Est-il vrai, ajouta-t-il, que, jouant et gagnant gros, vous avez donné votre chapeau à tenir à d’Antin, dans lequel vous jetiez tout ce que vous gagniez, et que le hasard vous ayant fait tourner la tête, vous surprîtes d’Antin empochant votre argent de dedans le chapeau ? » Monseigneur ne répondit mot ; mais regardant le roi en baissant la tête, témoigna que le fait étoit vrai. « Je vous entends, Monseigneur, dit le roi, je ne vous en demande pas davantage, » et sur cela se séparèrent, et Monseigneur sortit à l’instant du cabinet. Nous conclûmes, comme le premier écuyer, que cette question n’étoit faite que par rapport aux bâtiments, et qu’après cet éclaircissement, d’Antin en étoit très certainement revenu. Le lendemain, La Vrillière me dit la même chose, transporté de joie de se pouvoir compter délivré d’un compétiteur si dangereux.

Le quatrième, jour, qui étoit un dimanche, tout à la fin de la matinée, le premier écuyer vint chez moi, et m’apprit que d’Antin avoit les bâtiments. Il étoit furieux avec tout son froid et sa sagesse, peut-être moins de s’en voir éconduit, que de ce qui se pouvoit attendre d’une telle faiblesse, après la réponse de Monseigneur. Et puis raisonnez conséquemment dans les cours ! Le roi eut l’égard pour Monseigneur de vouloir que ce fût de lui que d’Antin apprît sa fortune ; son transport de joie fut plus fort que lui ; il s’y livra, il dit que c’étoit à ce coup que le sort étoit levé, qu’il n’étoit plus en peine de sa fortune. Il eut toutes les entrées qu’avoit Mansart, il les élargit même, et bientôt il sut subjuguer le roi, et l’amuser. Il n’en fut pas moins assidu auprès de Monseigneur, ni moins souvent avec les bâtards, surtout avec Mme la Duchesse ; il n’en joua pas moins ; en un mot, quatre corps n’eussent pas suffi à sa vie de tous les jours. Il fut plaisant qu’un seigneur comptât, et avec raison, sa fortune assurée par les restes, en tout estropiés, d’un