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tranquillité, c’est le pont de Moulins qui s’est détaché tout entier la veille que je suis parti, et tout d’un coup, et qui s’en est allé à vau-l’eau. » Le roi et Mansart se trouvèrent aussi étonnés l’un que l’autre, et le courtisan à se tourner pour rire. Le fait étoit exactement vrai. Le pont de Blois, bâti par Mansart quelque temps auparavant, lui avoit fait le même tour.

Il gagnoit infiniment aux ouvrages, aux marchés et à tout ce qui se faisoit dans les bâtiments, desquels il étoit absolument le maître, et avec une telle autorité qu’il n’y avoit ouvrier, entrepreneur, ni personne dans les bâtiments qui eût osé parler, ni branler le moins du monde. Comme il n’avoit point de goût ni le roi non plus, jamais il ne s’est rien exécuté de beau, ni même de commode, avec des dépenses immenses. Monseigneur ne voulut plus se servir de lui pour Meudon, parce qu’il s’aperçut enfin, à l’aide d’autrui, qu’il le vouloit embarquer en des ouvrages prodigieux. Le roi, qui en devoit savoir bon gré à Monseigneur et mauvais à Mansart, fit au contraire ce qu’il put pour les raccommoder, jusqu’à vouloir entrer pour beaucoup extraordinairement dans cette dépense. Monseigneur étoit piqué d’avoir été pris pour dupe, et s’en excusa. C’est de du Mont que j’ai su ce fait, qui en étoit toujours en colère. Cette belle chapelle de Versailles, pour la main-d’œuvre et les ornements, qui a tant coûté de millions et d’années, si mal proportionnée, qui semble un enfeu par le haut et vouloir écraser le château, n’a été faite ainsi que par artifice. Mansart ne compta les proportions que des tribunes, parce que le roi ne devoit presque jamais y aller en bas, et il fit exprès cet horrible exhaussement par-dessus le château pour forcer par cette difformité à élever tout le château d’un étage ; et, sans la guerre qui arriva, cela se seroit fait, pendant laquelle il mourut. Une colique de douze heures l’emporta et fit beaucoup parler le monde. Fagon, qui s’empara de lui et qui le condamna assez gaiement, ne permit pas qu’on lui donnât