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la faveur dans laquelle je le voyois ; que tel qu’il pût être, il ne s’aveugleroit pas assez pour se risquer en lutte contre l’héritier nécessaire de la couronne, dont la réputation étoit la consolation des François, l’espérance de la cour, la surprise du monde, tout ennemi qu’il est de la vertu, que le roi, malgré ce que j’avois remarqué, aimoit avec quelque chose de plus encore que de l’estime, et que tous respectoient, dont l’épouse faisoit tout son plaisir intérieur et celui de Mme de Maintenon, un prince enfin que tout le monde ne pouvoit s’empêcher de respecter, et dont ce peu qu’il disoit dans le conseil ou dans des occasions étoit recueilli avec une attention surprenante, et portoit un véritable poids. Le duc revint encore, et avec un peu d’amertume, sur mes préventions, sur l’excès où non imagination et mes aversions les portoient, et sur non pas l’ineptie, car il étoit trop mesuré pour employer ce terme, mais il m’en fit bien sentir la valeur, de se laisser aller à l’idée qu’il fût possible de concevoir le projet, et plus encore de pouvoir l’exécuter, de perdre le fils aîné et héritier de la maison, qui le demeureroit toujours, quoi qu’on pût faire, et qui régneroit à son tour. Je lui répondis que, sans être persuadé par ses raisons contre les miennes, je me soumettois à ses lumières, surtout pour un parti pris et arrêté, et sur lequel il n’y avoit plus à délibérer, mais que je me serois reproché de ne lui avoir pas confié mes craintes, que personne ne souhaitoit plus ardemment que moi qui n’eussent pas lieu. Il se rasséréna et se mit à me parler de la conduite que Mgr le duc de Bourgogne devoit se proposer à l’armée, dont nous convînmes aisément comme très importante, comme de s’appliquer et de s’instruire beaucoup, mais hors de son cabinet, par la conversation avec les meilleurs officiers généraux ; des promenades pour reconnoître les pays, les marches, les fourrages, les camps, les positions des gardes et des postes ; se communiquer fort aux officiers, parler aisément à tous ; distinguer ceux qui le méritoient à divers égards ; entrer