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et qui font l’étonnement des nations. Rendre la vertu importune, puis ridicule dans une armée, où personne ne la connoît plus ; montrer en odieux le jeune censeur de la licence qui a lié à soi les officiers généraux et particuliers ; faire redouter les exemples sans lesquels on ne peut arrêter les désordres, et les donner comme cruauté ; tourner l’application et l’exactitude si nécessaires en petitesse, en ignorance, en défaut des premières notions et de toute lumière ; présenter les précautions comme timidité, comme crainte déplacée, qui dispose à mal juger du courage d’esprit et du caractère du jugement ; proposer des partis téméraires qu’on seroit bien fâché qu’on prît, mais dont on dispute avec opiniâtreté pour s’en avantager avec les ignorants et les sots qui font le plus grand nombre, pour ne pas dire le total à fort peu près en ces matières, et rejeter sur le jeune prince les conseils qu’on appelle timides, et qu’on donne bientôt pour lâches, avec le contraste du bouillant de l’âge et du désir de gloire d’un jeune homme qui devroit avoir besoin d’être retenu, et qui retient au contraire un général plein de capacité et d’expérience ; avoir des émissaires qui, sans être dans le secret, débitent tout ce qu’on veut, écrivent, crient ; en avoir à la ville, à la cour, qui font l’écho ; susciter des disputes, des contrariétés qui produisent des dits, des contredits, des procès pour ainsi dire, qui se répètent et se déguisent avec artifice en se débitant ; en un mot, vouloir toujours le contraire de ce que veut le prince, pour se plaindre, pour jeter toute faute sur lui, pour faire crier ; et surtout vouloir se battre contre toute raison, et en manquer l’occasion quand elle se présente pour affubler le prince de poltronnerie ; et le déshonorer après y avoir préparé par tout ce que je viens d’exposer, et ne se pas mettre en peine des suites pour l’armée et pour l’État, afin d’écraser mieux le prince sous le poids, voilà, monsieur, ce qui se présente à moi de très possible à un homme aimé, gâté, révéré, appuyé, maître passé en audace, en artifice et en sacrifices de tout à soi-