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vrai que M. de Chevreuse m’en a parlé ; je l’ai vu chez lui, et il l’a amené chez moi. C’est un homme de qualité, de beaucoup d’esprit et de fort bonne compagnie, avec qui il y a mille choses agréables à apprendre. — Eh ! monsieur, voilà le point, lui dis-je. Vous le trouvez tel, et cela est vrai. Ce qu’il veut, c’est de vous-même d’en faire un autre pont pour pénétrer jusqu’à Mgr le duc de Bourgogne. — Eh ! pourquoi ? répliqua-t-il, ne le lui pas faire voir, s’il y a de l’instruction et de l’utilité à trouver dans une conversation agréable pour Mgr le duc de Bourgogne ? Je ne vois à cela aucun inconvénient. Et moi, lui dis-je, j’en vois beaucoup, et tel que vous ne le sentirez que quand il n’en sera plus temps. »

Il s’altéra un peu et me pria de lui développer ce qui ne se présentoit pas à lui, avec un petit air de doux défi. « Voilà, lui dis-je, votre charité qui déjà s’effarouche. Mais vous me pardonnerez de vous dire que, avec une charité si délicate, on ignore tout, et on tombe en beaucoup d’inconvénients dans une cour. Puisque j’ai commencé à l’effaroucher, j’irai jusqu’au bout. Tachez, monsieur, de connoître vos gens. L’abbé de Polignac est une sirène enchanteresse, et qui en fait métier et profession. C’est un homme faux, ambitieux, qui entreprendra tout et à qui aucun moyen ne coûtera pour arriver à ses fins. Toute sa vie jusqu’à présent n’a été que cela. Ses mœurs, ses liaisons, sa conduite n’ont aucun rapport avec M. de Chevreuse ni avec vous. Il n’a été à lui que pour arriver à vous ; il ne veut vous capter que pour parvenir par vous à Mgr le duc de Bourgogne, qu’il enchantera par son esprit, par son jargon, par son savoir. Il s’y ancrera par soi-même, et une fois ancré le voudra dominer pour faire sa fortune, ne pensera conséquemment qu’à vous écarter pour être seul possesseur ; et souvenez-vous, monsieur, que je vous prédis qu’il en viendra à bout, si vous avez la simplicité de l’introduire. »

M. de Beauvilliers se fâcha tout de bon. Il me dit qu’il n’y