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tant de mouvements ne s’accommodoient pas avec son état. Mme de Maintenon en étoit inquiète, Fagon en glissoit doucement son avis. Cela importunoit le roi, accoutumé à ne se contraindre pour rien, et gâté pour avoir vu voyager ses maîtresses grosses, ou à peine relevées de couches, et toujours alors en grand habit. Les représentations sur les Marlys le chicanèrent sans les pouvoir rompre. Il différa seulement à deux reprises celui du lendemain de la Quasimodo, et n’y alla que le mercredi de la semaine suivante, malgré tout ce qu’on put dire et faire pour l’en empêcher, ou pour obtenir que la princesse demeurât à Versailles.

Le samedi suivant, le roi se promenant après sa messe, et s’amusant au bassin des carpes entre le château et la Perspective, nous vîmes venir à pied là duchesse du Lude toute seule, sans qu’il y eût aucune dame avec le roi, ce qui arrivoit rarement le matin. Il comprit qu’elle avoit quelque chose de pressé à lui dire, il fut au-devant d’elle, et quand il en fut à peu de distance, on s’arrêta, et on le laissa seul la joindre. Le tête-à-tête ne fut pas long. Elle s’en retourna, et le roi revint vers nous, et jusque près des carpes sans mot dire. Chacun vit bien de quoi il étoit question, et personne ne se pressoit de parler. À la fin le roi, arrivant tout auprès du bassin, regarda ce qui étoit là de plus principal, et sans adresser la parole à personne, dit d’un air de dépit ces seules paroles : « La duchesse de Bourgogne est blessée. » Voilà M. de La Rochefoucauld à s’exclamer, M. de Bouillon, le duc de Tresmes et le maréchal de Boufflers à répéter à basse note, puis M. de La Rochefoucauld à se récrier plus fort que c’étoit le plus grand malheur du monde, et que s’étant déjà blessée d’autres fois, elle n’en auroit peut-être plus. « Eh ! quand cela seroit, interrompit le roi tout d’un coup avec colère, qui jusque-là n’avoit dit mot, qu’est-ce que cela me feroit ? Est-ce qu’elle n’a pas déjà un fils ? et quand il mourroit, est-ce que le duc de Berry n’est pas en âge de se marier et d’en avoir ? et que m’importe qui me