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utilement, et autant que je le pus, néanmoins toujours attentif à ses propos et à ses démarches, dans le souvenir très-présent de ce qui s’étoit passé de ses sœurs avec mon père. Cette conduite dura ainsi quelques années sans aucune mention que d’avancement, et moi toujours poli et serviable, mais toutefois en garde de l’attirer chez moi.

Enfin, cette année, sur la fin du carême, piqué de la promotion de marine dont j’ai parlé, il me vint faire ses plaintes avec vivacité, s’applaudit d’avoir tiré son fils de la marine pour le mettre dans le régiment des gardes, et ajouta que, par tout ce qui lui en revenoit du duc de Guiche et de tous les officiers, il espéroit qu’il ne me feroit pas déshonneur, ni au nom qu’il portoit. J’entendis ce françois. Nous descendions le degré, moi pour aller dîner à Paris, et lui m’accompagnant. Pour toute réponse, je lui demandai s’il n’y vouloit rien mander, et me séparai de lui à la galerie, qui me parut fort embarrassé. Avant de monter en carrosse, j’allai chez Mme d’Urfé, à qui je contai ce qui venoit de m’arriver, l’aventure de mon père, et la priai de vouloir bien dire à Rouvroy et à sa femme que, tant que les politesses n’avoient été que douteuses, je les avois reçues avec la civilité qu’ils pouvoient désirer, mais qu’au propos qui me venoit d’être tenu, je ne pouvois dissimuler que je ne connoissois nulle parenté avec eux ; que je n’en avois jamais ouï parler autrement à mon père et aux trois autres branches de notre maison, dont je ne suis que la quatrième ; que je croyois Rouvroy tout aussi bon qu’il le pouvoit souhaiter, mais nullement de ma maison ; que ces choses-là consistoient en preuves, que je serois ravi qu’il m’en montrât qui me le fissent reconnoître, mais que jusque-là je n’en ferois rien, et que lui-même, s’il n’en avoit point, auroit mauvaise grâce de le vouloir prétendre, et le prétendroit inutilement. J’ajoutai que je la priois d’en rendre compte à Mme la princesse de Conti, et de lui dire que, sans l’amitié qu’elle avoit pour sa femme, je n’aurois