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et austère. Elle et son mari avoient de l’esprit et de l’intrigue comme deux démons ; et Middleton, par être de fort bonne compagnie, voyoit familièrement la meilleure de Versailles. Sa femme étoit catholique, lui protestant, tous deux de fort peu de chose, et les seuls de tout ce qui étoit à Saint-Germain qui touchassent tous leurs revenus d’Angleterre. Le feu roi Jacques, en mourant, l’avoit fort exhorté à se faire catholique. C’étoit un athée de profession et d’effet, s’il peut y en avoir, au moins un franc déiste ; il s’en cachoit même fort peu. Quelques mois après la mort de Jacques, il fut un matin trouver la reine, et comme éperdu lui conta que ce prince lui étoit apparu la nuit, lui déclara avec grande effusion de cœur qu’il devoit son salut à ses prières, et protesta qu’il étoit catholique. La reine fut assez crédule pour s’abandonner au transport de sa joie. Middleton fit une retraite qu’il termina par son abjuration, se mit dans la grande dévotion, et à fréquenter les sacrements. La con fiance de la reine en lui n’eut plus de bornes ; il gouverna tout à Saint-Germain. La Jarretière lui fut offerte qu’il refusa par modestie, mais pour tout cela ses revenus d’Angleterre ne lui étoient pas moins fidèlement remis. Plus d’une fois le projet d’Écosse, proposé d’abord à Saint-Germain, avoit été rejeté par lui, et méprisé par la reine qu’il gouvernoit. Quand il se vit pleinement ancré, il quitta peu à peu la dévotion, et peu à peu reprit son premier genre de vie sans que son crédit en reçût de diminution. Cette fois, comme les précédentes, il fut de tout le secret ; mais, comme notre cour y entroit avec efficace, il n’osa le contredire, mais il s’y rendit mollement. Tel fut le seul et véritable mentor que la reine donna au roi son fils pour l’expédition d’Écosse.

L’affaire étoit au point qu’elle ne pouvoit plus être retardée ; le secret commençoit à transpirer. On avoit embarqué une prodigieuse quantité d’armes et d’habits pour les Écossois ; les mouvements de terre et de mer étoient nécessairement