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alloit faire, mais sans aller jusqu’à me dire ses desseins sur un successeur. Le mariage étoit fait ; la haine en étoit encourue ; en cette situation il falloit au moins profiter de ce qu’il se pouvoit.

J’étois ami de Desmarets, je connoissois les désirs des ducs de Chevreuse et de Beauvilliers ; je voyois l’intérêt de Chamillart. Quoique je me doutasse bien que son choix tomboit sur lui, je craignis la défaillance des moribonds qui leur fait si souvent changer leur testament. Sans lui nommer Desmarets pour ne le point mettre en garde, et ne l’irriter point aussi d’avoir pénétré ses vues, je lui représentai son extrême intérêt d’avoir un successeur à lui qu’il eût le crédit de faire ; que ce successeur ne pût douter qu’il ne tînt son élévation que de lui, et s’il étoit possible encore, qu’il fût tel que d’autres engagements, outre ceux de la reconnoissance, l’unissent étroitement à lui. Je le fortifiai surtout à n’être pas, dans une affaire pour lui si capitale, la dupe des complaisances et des respects, mais à nommer, et à faire, s’il en étoit besoin, un effort de crédit pour que son choix l’emportât. J’appuyai fortement sur ce dernier article, parce que je craignis les ruses de Mme de Maintenon, la faiblesse et l’indécision du roi, et, plus que tout, la confiance de Chamillart qui s’y pourroit trouver trompée. Le soir même j’allai à Paris, j’y vis en arrivant Desmarets chez lui à qui je parlai franchement, et qui me parla de même. Je trouvai un homme qui voyoit les cieux ouverts, et qui bien informé de toutes les démarches, bien appuyé des ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, comptoit pour le lendemain le changement de sa fortune.

M. le duc d’Orléans qui étoit sur son départ pour l’Espagne, m’avoit donné rendez-vous pour le lendemain matin au Palais-Royal. Nous y fûmes enfermés longtemps tête à tête à discuter ses affaires, après quoi je le mis en propos de celle des finances. Il savoit tout par Mme de Maintenon