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Il ne tint pas à moi de les faire tous sentir, et je prévis aisément, par la connoissance de la cour et des personnages, le mécompte du duc de Beauvilliers et de Chamillart. Celui-ci étoit trop prévenu de soi, trop plein de ses lumières, trop attaché à son sens, trop confiant pour être capable de prendre en rien les impressions d’autrui. Je ne crus donc pas un moment que l’alliance acquit sur lui au duc de Beauvilliers le plus petit grain de déférence ni d’autorité nouvelle ; je ne crus pas un instant que Mme de Maintenon, indépendamment même de son désir pour les Noailles, pût jamais s’accommoder de ce mariage. Sa haine pour M. de Cambrai étoit aussi vive que dans le fort de son affaire. Son esprit et ses appuis le faisoient tellement redouter à ceux qui l’avoient renversé, et qui possédoient Mme de Maintenon tout entière, que, dans la frayeur d’un retour, ils tenoient sans cesse sa haine en haleine. Maulevrier, aumônier du roi, perdu pour son commerce avec lui, avoit eu besoin des longs efforts du P. de La Chaise, son ami intime, pour obtenir une audience du roi, afin de s’en justifier, il n’y avoit que peu de jours. La duchesse de Mortemart étoit, après la duchesse de Béthune, la grande âme du petit troupeau, et avec qui, uniquement pour cela, on avoit forcé la duchesse de Guiche, sa meilleure et plus ancienne amie, de rompre entièrement et tout d’un coup. La duchesse de Mortemart, franche, droite, retirée, ne gardoit aucun ménagement sur son attachement pour M. de Cambrai. Elle alloit à Cambrai, et y avoit passé souvent plusieurs mois de suite. C’étoit donc une femme que Mme de Maintenon ne haïssait guère moins que l’archevêque ; on ne le pouvoit même ignorer.

J’étois de plus effrayé du dépit certain qu’elle concevroit de voir Chamillart, sa créature et son favori, lui déserter pour ainsi dire, et passer du côté de ses ennemis, comme il lui échappoit quelquefois de les appeler, je veux dire, dans la famille des ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, qu’elle