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princes et princesses du sang, ce qui à présent revient au même, et n’affranchit plus que de l’importunité du vêtement.

Le grand écuyer, qui n’aimoit que lui dans le monde, n’eut pas plutôt perdu une femme qui avoit si bien vécu avec lui, et si utilement pour sa famille, qu’il songea à se remarier. La figure et la conduite de Mme de Châteauthiers, dame d’atours de Madame, lui avoit toujours plu. Quoique éloignée de l’âge de la beauté, elle en avoit encore, et grand air par sa taille et son maintien, et toujours une vertu sans soupçon dans le centre de la corruption ; la probité étoit pareille dans un lieu qui n’y étoit pas moins opposé, tout cela au moins du temps de la cour de Monsieur, qui étoit celui de sa jeunesse et de sa beauté ; avec cela beaucoup d’esprit et de grâces, aimable au possible dans la conversation, quand elle le vouloit bien et que l’humeur ne s’y opposoit pas. M. le Grand, un mois après être veuf, lui fit parler. C’étoit une très bonne demoiselle toute simple, dont le nom étoit Foudras. Ils étoient d’Anjou et avoient des baillis dans l’ordre de Malte. Elle n’avoit rien vaillant que ce que lui donnoit Madame, et n’en savoit pas même tirer, parce qu’elle étoit tout à fait noble et désintéressée. M. le Grand lui fit sentir le rang et les biens qu’elle trouveroit avec lui, et le soin qu’il prendroit en l’épousant de lui assurer après lui une subsistance convenable au nom qu’elle porteroit. Elle résista et répondit comme elle devoit sur une proposition aussi flatteuse ; mais elle ajouta qu’elle ne vouloit point faire cette peine aux enfants de M. le Grand. Eux qui virent l’empressement de leur père, et qui craignirent qu’éconduit de celle-là il n’en épousât quelque autre, furent trouver Mme de Châteauthiers et la conjurèrent de consentir au mariage. Ils l’en firent presser par leurs amis. M. le Grand ne se rebuta point. Mais la sage et modeste résistance de Mme de Châteauthiers fut la plus forte, jamais elle n’y voulut consentir. Toute la France l’admira et ne l’en estima que davantage,