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MM. de Vendôme et de Vaudemont avoient passé par la même étamine ; Vendôme y avoit laissé presque tout son nez, Vaudemont les os des doigts de ses pieds et de ses mains, qui n’étoient plus qu’une chair informe, sans consistance, qui se rabattoit toute l’une sur l’autre ; ses mains faisoient peine à regarder. Il en avoit eu d’autres suites très fâcheuses, dont les médecins n’avoient pu venir à bout. Un empirique le guérit à Bruxelles autant qu’il pouvoit l’être et le mit en état de se tenir à cheval et sur ses pieds. Ce fut son prétexte en Italie de paroître si peu dans les armées et d’y monter si rarement à cheval. Du reste, il avoit conservé toute sa belle figure à son âge, fort droit, grande mine et une fort bonne santé. On va voir qu’il sut tirer parti d’un état dont la source est si honteuse.

M. de Vaudemont et ses nièces étoient fort occupés de sa subsistance et de son rang. Il avoit acquis à Milan des sommes immenses, et dans quelque splendeur qu’il y eût vécu, il lui en étoit resté beaucoup, comme on ne put s’empêcher d’en être convaincu dans la suite. Mais il ne falloit pas le laisser apercevoir, et pour obtenir gros, et pour ne pas perdre le mérite d’un homme si grandement établi et qui revient tout nu. Cela ne leur parut pas le plus difficile, et, en effet, ils furent si bien servis que, tout en arrivant, le roi donna quatre-vingt-dix mille livres de pension à M. de Vaudemont, et qu’il écrivit aussi au roi d’Espagne pour lui recommander ses intérêts. Ils se trouvèrent encore en meilleures mains auprès de Mme des Ursins, qui, nonobstant l’état fâcheux des finances et des affaires d’Espagne, où tout manquoit, comme on l’a vu, à l’occasion des suites de la bataille d’Almanza, voulut montrer à Mme de Maintenon ce qu’elle pouvoit sur elle, et fit donner, tant à M. qu’à Mme de Vaudemont, cent quatre-vingt-dix mille livres de pension. Il avoit fait sa révérence au roi le 10 mai ; mais le 15 juin la réponse d’Espagne étoit arrivée. On auroit pu croire que deux cent quatre-vingt mille livres de rente auroient dû suffire et les contenter.