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peu de jours après cette réconciliation, le roi fut assez longtemps le soir chez Mme de Maintenon avec Chamillart et Tessé. On sut après que ce maréchal ne serviroit plus : il se dit en soupçon d’avoir besoin de la grande opération. On n’ajouta pas grande foi à une incommodité si subite et si cachée.

Le roi d’Espagne montra une autre sorte de faiblesse qui scandalisa étrangement tous les grands seigneurs. Ce fut de donner la Toison au marquis de Bay, qu’il n’avoit point encore avilie, mais qu’il avilit souvent depuis. Ce prétendu marquis de Bay étoit fils d’un cabaretier de Gray, en Franche-Comté, qui s’étoit poussé à la guerre, et qui en effet la fit fort heureusement et fort utilement, cette campagne, en Estrémadure.

Le comte d’Auvergne mourut enfin à Paris, le 23 novembre, d’une longue et fort singulière maladie, où les médecins ne connurent rien peut-être pour y connoître trop. Il vit avant de mourir l’abbé d’Auvergne son fils, aujourd’hui cardinal, qu’il avoit chassé de chez lui, et avec qui il étoit horriblement brouillé. C’étoit un fort gros homme, qui vint à rien avant qu’être arrêté dans sa chambre. Il ne ressembloit pas mal à un sanglier, et toujours amoureux. C’étoit le meilleur homme du monde à qui n’avoit que faire à lui, le plus difficile quand on y avoit affaire. Il étoit pointilleux même dans le commerce, aisé à blesser, difficile à revenir ; honnête homme pourtant, mais père qui eut bien du tracas dans sa famille avec ses enfants pour le bien de leur mère ; glorieux à l’excès et toujours embarrassé de sa princerie.

Il ne jouit pas longtemps du plaisir de savoir le prince d’Auvergne (celui qui avoit déserté et qui avoit pris le service de Hollande) marié à la sœur du duc d’Aremberg. Le comte d’Évreux, qui avec sa charge de colonel général de la cavalerie qu’il avoit eue de lui, se crut toute sa dépouille due, n’eut point son logement à Versailles qui fut donné au maréchal de Villars, ni son gouvernement de Limousin qui fut donné au duc de Berwick. Il ne le pardonna à l’un ni