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aucune, mais il lui fit dire de venir à Versailles. Il n’avoit pas vu Chamillart depuis son dernier retour du Rhin dont je viens de parler, qui étoit en 1702 ; et quoique M. de Beauvilliers fût fort ami de Chamillart, il l’étoit beaucoup aussi de Catinat, dont il connoissoit et respectoit la vertu. C’étoit par lui qu’avoit passé cette dernière consultation et l’ordre de venir à Versailles. Il s’y présenta. C’étoit à la fin de novembre, comme le roi achevoit de s’habiller. Dès que le roi l’aperçut, il lui dit qu’il lui vouloit parler, et le fit entrer dans son cabinet. Il lui loua son mémoire, en raisonna avec lui, et lui fit beaucoup d’honnêtetés. C’étoit un guet-apens. La conclusion fut de lui dire en propres termes qu’il avoit une prière à lui faire, qu’il espéroit qu’il ne lui refuseroit pas. Le maréchal se confondit, le roi reprit la parole, et lui dit : « Monsieur le maréchal, votre mésintelligence avec Chamillart m’embarrasse, je voudrois vous voir raccommodés. C’est un homme que j’aime et qui m’est nécessaire, je vous aime et vous estime fort aussi. » Le maréchal répondit qu’il s’en alloit à l’heure même chez lui. « Non, lui dit le roi, cela n’est pas nécessaire, il est là derrière, je vais l’appeler. » Il l’appela aussitôt, et la réconciliation devant le roi fut bientôt faite. Dès que Chamillart fut retourné chez lui, Catinat alla lui rendre visite. En sortant, Chamillart le conduisit, comme il le devoit, jusqu’au dernier bout de son appartement, long et vaste, sans que Catinat l’en pût empêcher. En se séparant le maréchal lui dit : « Vous avez voulu, monsieur, faire cette façon, mais je vous supplie que ce soit pour la dernière fois, afin que vous me regardiez comme un ami et un serviteur particulier, et que le public le sache. » C’eût été là pour un autre un trait de courtisan. En Catinat qui n’en vouloit faire aucun usage, c’en fut un d’une rare modestie et d’une parfaite soumission pour ce que le roi désira de lui, et fort au delà de ce qu’il lui avoit demandé. Telle étoit sa faiblesse pour ses ministres. Très