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on détacha deux cents hommes du régiment des gardes, qu’on y fit marcher sous des sergents sages et entendus. Il y eut de grands désordres en Anjou et en Orléanois. On résolut de décimer ces faux-sauniers, et on envoya à leurs régiments les colonels qui avoient des gens de ce métier dans leurs troupes.

Listenois, qui étoit un fou sérieux, aussi fou que ceux qu’on enferme, et dont le frère, Beaufremont, ne l’est pas moins, imagina un moyen d’escroquer douze cents pistoles à la comtesse de Mailly, sa belle-mère, qui fit grand bruit par le tour de l’invention. Il signa une lettre écrite d’une main inconnue à son homme d’affaires, en Franche-Comté, par laquelle il lui mandoit que, revenant de l’armée du Rhin, il avoit été pris entre Benfeld et Strasbourg ; qu’il ne peut avertir du lieu ni des mains entre lesquelles il est, mais qu’en payant comptant douze cents pistoles à un homme qu’il enverra les recevoir à Besançon, il sera mis en liberté. Mme de Mailly, qui apprit cette nouvelle par cet homme d’affaires, fit remettre la somme, et, avec une sage défiance, n’en dit mot. Mais le bruit qu’en avoit fait l’homme d’affaires s’étoit répandu dans cette province, et de là étoit parvenu à Paris et à la cour. La date de cette capture étoit antérieure au départ de Strasbourg du maréchal de Villars, qui n’en avoit pas ouï parler, ni depuis son arrivée. Aucune lettre de la frontière depuis n’en faisoit mention. L’aventure parut des plus extraordinaires. Quinze jours après, un valet de chambre de Listenois arriva à Versailles pour chercher l’argent demandé qu’il se défioit avoir été rendu à Besançon. Il dit avoir été toujours avec lui depuis sa prise. Il assura que, dès qu’il auroit touché l’argent, son maître seroit mis en liberté. On voulut le faire suivre, mais il s’écria qu’on s’en gardât bien, parce qu’au moindre soupçon qu’auroient ceux qui le tenoient d’être découverts, ils le tueroient. Ce voyage et ce propos mirent l’affaire au net, et Mme de Mailly en fut pour son argent.