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lui avoit mandé que, par politesse, il n’avoit pas voulu lui répondre, mais que, puisqu’il le vouloit, qu’il sût donc que, par pure complaisance, il avoit fait chercher soigneusement en Écosse, sans avoir rien trouvé, sinon quelque nom approchant de celui de Colbert dans le plus petit peuple, qu’il l’assuroit que son ministre étoit trompé par son orgueil, et qu’il n’y donnât pas davantage [1]. Ce récit, fait en colère, fut accompagné de fâcheuses épithètes, jusqu’à s’en donner à lui-même sur sa facilité d’avoir ainsi écrit ; après quoi il passa tout de suite à un autre discours plus surprenant encore à qui l’a connu. Il se mit à dire qu’il trouvoit bien sot à Mme de Duras (car ce fut son terme) de n’avoir pas fait sortir de cette place Mme de Torcy par le bras, et s’échauffa si bien là-dessus, que Mme la duchesse de Bourgogne et les princesses à son exemple, ayant peur qu’il ne lui en fit une sortie, se prirent à l’excuser sur sa jeunesse, et à dire qu’il seyoit bien toujours à une personne de son âge d’être douce et facile, et d’éviter de faire peine à personne. Là-dessus le roi reprit qu’il falloit qu’elle fût donc bien douce et bien facile en effet de l’avoir souffert de qui que ce fût sans titre ; plus encore de cette petite bourgeoise, et que toutes deux ignorassent bien fort, l’une ce qui lui étoit dû, l’autre le respect (ce fut encore son terme) qu’elle devoit porter à la dignité et à la naissance ; qu’elle devoit se sentir bien honorée d’être admise à sa table et soufferte parmi les femmes de qualité ; qu’il avoit vu les secrétaires d’État bien éloignés d’une confusion semblable ; que sa bonté et la sottise des gens de qualité les avoit laissés mêler parmi eux ; que ce honteux mélange devoit bien leur suffire à ne pas entreprendre ce que la femme de la plus haute naissance n’eût pas osé songer d’attenter (ce fut encore l’expression dont il se servit) mais encore pour respecter les

  1. On trouve, dans les Mémoires contemporains et principalement dans les Mémoires de l’abbé de Choisy, des détails sur cette faiblesse de Colbert. Voy. ces Mémoires, collection Petitot, 2° série, t. LXIII, p. 215-222.