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et de douceur, avec cela beaucoup d’érudition, une grande connoissance du monde et une fort aimable conversation, avec toute l’aisance d’un homme accoutumé aux grandes cours, et à la meilleure compagnie ; il la faisoit lui-même, et sa conversation étoit charmante et souvent instructive sur une infinité de choses. Ce qu’il avoit de plus recommandable, mais de plus singulier pour un homme de son pays et de son état, c’étoit la probité, la vérité, la fidélité et la candeur, avec tout l’art nécessaire pour les conserver entières dans le maniement des affaires et parmi le commerce du monde. Mieux informé de notre cour que la plupart de ceux qui la composoient, il répondit aux avances de son voisin en homme qui connoissoit ce que sa belle-soeur étoit à Mme de Maintenon, tellement qu’à force de civilités, de visites, de désir de se plaire l’un à l’autre, ils lièrent ensemble une véritable amitié. Au bout de deux ou trois ans, Gualterio eut la nonciature de France. L’archevêque d’Arles me le recommanda fort. Il lui avoit parlé de moi, et le prélat italien, qui n’ignoroit rien de notre cour, même avant d’y arriver, ne désiroit pas moins que l’archevêque de pouvoir lier avec un homme qu’il savoit si étroitement uni avec le duc de Beauvilliers, le chancelier et Chamillart, et avec d’autres personnes considérables. Alors encore les nonces conservoient la morgue de refuser chez eux la main aux ducs et aux princes étrangers, tandis qu’ils la donnoient sans difficulté aux secrétaires d’État. Les ducs et les princes étrangers ne les voyoient donc jamais chez eux, et ce ne fut que depuis la nonciature de Gualterio, que cette prétention finit, que les nonces ne firent plus difficulté de donner la main chez eux, et que les ducs et les princes étrangers les virent. Gualterio et moi ne nous visitâmes donc d’abord que par des messages, et quand il venoit les mardis à Versailles, nous nous y voyions dans les appartements. Nous nous plûmes réciproquement, à moi parce que je lui trouvai bientôt de quoi plaire, à lui parce