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et de sa justesse en toutes choses. Un homme de cette sorte et qu’on est sûr de trouver chez lui n’y est plus guère en solitude. Les gens de la cour et du grand monde, ceux de la ville et de la magistrature, tout y abonda : c’étoit le bel air. Parmi cette diversité, il se forma des amis considérables en tout genre. Sa maison devint un tribunal où il n’étoit pas indifférent d’être blâmé ou approuvé. Soit conseil, soit confiance, Noirmoutiers entra et se mêla dans une infinité d’affaires, et se trouva, sans sortir de sa chambre, l’homme le mieux informé de tout ce qui se passoit à la cour et dans le monde, fort compté et fort accrédité pour servir ses amis.

Sa santé qui fut toujours délicate, un bien fort court, le désir de pouvoir suppléer à ses yeux par un autre soi-même en bien des occasions où la nécessité d’en emprunter lui devint un joug embarrassant, le tournèrent au désir du mariage. Pauvre et aveugle, de grande naissance, mais fils d’un duc à brevet qui ne lui avoit point laissé de rang, il étoit difficile de rencontrer un mariage avantageux ; il ne songea donc qu’à se donner une femme avec un bien médiocre, de qui il pût espérer ce qu’il en cherchoit. Il crut la trouver dans une fille de La Grange, président d’une chambre des requêtes du palais, et il l’épousa au commencement de 1688, mais il la perdit au bout de dix-huit mois sans enfants. Mme des Ursins cria à la mésalliance, comme si leur mère n’eût pas été Aubry, leur grand’mère Bouhier, fille d’un trésorier de l’épargne, et leur [arrière-] grand’mère Beaune, petite-fille du vertueux et malheureux Semblançay de François Ier. Ces cris mirent du refroidissement entre le frère et la sœur, qui ne s’étoit pas encore entièrement réchauffé, lorsque les mêmes raisons qui avoient engagé M. de Noirmoutiers à ce premier mariage le firent, dix ans après, penser à un second et de la même espèce. Il épousa donc en mai 1700 une fille de Duret, seigneur de Chevry, président en la chambre des comptes.