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faire sa fortune, et s’assurer en même temps d’une frontière jalouse en la mettant entre les mains d’un de ses plus affidés serviteurs. Il ne réussit que trop pour ses intérêts à l’une, et fut cruellement trompé sur la suite qu’il en attendoit. Il fit le vicomte de Turenne maréchal de France, pour épouser l’héritière de Sedan, Bouillon, Raucourt et Jametz. Le mariage se fit en octobre 1591. Elle mourut à Sedan, 15 mai 1594, en couches d’un fils mort en naissant, et ne laissa aucun enfant. Le maréchal de Bouillon prétendit garder tout ce que possédoit sa femme, en vertu d’un testament fait par elle en sa faveur, pièce qu’il ne montra jamais parce qu’elle n’exista jamais. Henri IV, par les mêmes raisons qui lui avoient fait faire ce mariage, soutint l’usurpation, contre l’oncle paternel, de l’héritage, qui n’en put avoir justice. On voit dans tous les Mémoires et les histoires de ces temps combien Henri IV lui-même eut à s’en repentir, et sa postérité après lui, et que l’époque de la souveraineté du maréchal de Bouillon fut celle de son ingratitude et de ses perfidies, desquelles ses enfants héritèrent avec ces mêmes biens.

Il s’étoit fait huguenot de bonne heure. Il se remaria en 1595 à une fille du fameux Guillaume, prince d’Orange, qui, fondateur de la république des Provinces-Unies, fut touché d’avoir un gendre puissant dans les Ardennes et dans le parti huguenot en France. Dans cette posture, il se trouvoit beau-frère de Frédéric IV, électeur palatin, qui avoit épousé une autre fille du même prince d’Orange en 1593, dont il eut le malheureux roi de Bohême, l’électrice de Brandebourg, et nombre d’autres enfants. Tant de moyens et d’élévation étrangère, joints à tout l’esprit, la capacité, le courage et l’ambition nécessaires à les faire valoir, lui firent trouver trop étroites les bornes de sujet et de particulier, et le jetèrent dans tous les complots dont les histoires sont pleines. En même temps l’état de seigneur françois, quant au rang, ne lui déplut pas moins, et il forma là-