Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/286

Cette page a été validée par deux contributeurs.

n’y avoit rien à dire, sinon qu’il ne l’avoit jamais aimé, et qu’il falloit au moins lui en passer un. Cela fut net. Outre que le duc de Rohan étoit un homme d’esprit et d’une humeur fort désagréable, le roi qui vouloit qu’on regardât les charges, surtout celles qui l’approchoient de plus près, comme le souverain bonheur, ne lui avoit jamais pardonné d’avoir rompu son mariage avec la fille unique du duc de Créqui pour faire celui de la fille unique de Vardes. Le roi aimoit fort le duc de Créqui, et lui avoit accordé la survivance de sa charge de premier gentilhomme de sa chambre, pour son gendre, et Vardes étoit exilé en Languedoc depuis longtemps, pour avoir manqué personnellement au roi en chose essentielle, qui ne le lui pardonna jamais. Mme de Soubise, de plus, n’avoit pas aidé à faire revenir le roi pour son frère. Elle étoit toute Rohan, et enivrée du rang qu’elle avoit procuré à son mari et à ses enfants. Par toutes ces raisons, il n’étoit pas douteux qu’elle ne fût en cette occasion pour M. de Guéméné contre son frère, et que ce crédit de plus sur le roi aussi mal disposé qu’il étoit, et sur les ministres, qui tous la craignoient et la ménageoient infiniment, ne devînt fort dangereux à la cause du duc de Rohan.

Mais le temps des chimères étoit arrivé ; il en étoit monté une dans la tête du duc de Rohan qui ne se découvrit que quelque temps après, comme il sera remarqué en son lieu, qui, toute folle qu’elle put être, l’entraîna dans le soutien du nom et des armes de Rohan, pour ses enfants et leur postérité. Piqué de n’avoir point été chevalier de l’ordre, il auroit voulu faire croire la fausseté de ce que Mme de Soubise avoit fait écrire sur les registres de l’ordre, au lieu de ce que le roi avoit commandé qui y fût mis, et que j’ai remarqué (t. II, p. 159), et persuader qu’il avoit suivi le sort des Rohan. De là avec les années, il se mit peu à peu dans la tête de prétendre le même rang, dont ils jouissent, parce que sa mère lui en avoit apporté tous les biens. Sa mère, étant fille, n’avoit jamais été assise ; sa mère n’étoit l’aînée