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puis recogner ses larmes, pour qu’on ne s’en aperçut point, eux surtout, me les louer, dire que ce n’étoit pas leur faute si elle avoit perdu ses enfants ; que, si ce n’étoit pas une ressource pour elle, c’en étoit toujours une pour M. de Beauvilliers, ce qui étoit tout pour elle ; et dès qu’ils arrivoient, leur faire cent caresses et toutes les amitiés possibles. Elle les traita toute sa vie comme ses véritables enfants et les mieux aimés, avec un intérêt en eux et des soins qui ne se peuvent exprimer ; M. de Beauvilliers de même. Toutes ces dispositions se firent de concert avec M. de Mortemart et Mme sa mère, pour ne préjudicier point aux droits de sa femme, fille de M. et de Mme de Beauvilliers, qu’ils ne conservèrent que trop scrupuleusement.

Bergheyck arriva de Flandre sur la fin de novembre. Chamillart le logea, le défraya et le présenta le soir au roi, chez Mme de Maintenon. D’abord baron, puis comte (à dire vrai, ni l’un ni l’autre qu’à la mode de nos ministres), c’étoit un homme de Flandre et de meilleure famille qu’ils ne sont d’ordinaire, qui avoit travaillé dans les finances des Pays-Bas sur la fin de Charles II, que l’électeur de Bavière y trouva fort employé, et qu’il y continua à la mort du roi d’Espagne. Sa capacité et sa droiture donna confiance en lui ; sa fidélité et son zèle y répondirent, avec beaucoup d’esprit, de sens, de lumière, de justesse, une grande facilité de travail et d’abord, beaucoup de douceur avec tout le monde et dans la manière de gouverner, une grande modestie, un entier désintéressement et beaucoup de vues. Il se pouvoit dire un homme très-rare, et qui avoit une connoissance parfaite non seulement des finances, mais de toutes les affaires des Pays-Bas, et de tout ce qui y étoit et pouvoit y être employé ; avec tous ces talents grand travailleur et fort appliqué, et qui avoit une exactitude et une simplicité en tout singulière. Il fut bientôt mis au timon des affaires de ces pays-là pour l’Espagne.

C’étoit un homme qui ne s’avançoit jamais, qui ne parloit