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et le lui fit sentir ; il n’en étoit que plus amoureux et plus soumis. Elle disposoit de beaucoup de choses au Palais-Royal, cela lui fit une petite cour et des amis ; et Mme de Ventadour, avec toute sa dévotion de repentie et ses vues, ne cessa point d’être en commerce étroit avec elle, et ne s’en cachoit pas. Elle fut bien conseillée. Elle saisit ce moment brillant de M. le duc d’Orléans pour faire reconnoître et légitimer le fils qu’elle en avoit, aujourd’hui par la régence de son père devenu grand prieur de France, général des galères, et grand d’Espagne, avec des abbayes. Mais Mlle de Sery ne se contenta pas de cette légitimation. Elle trouva indécent d’être publiquement mère et de s’appeler mademoiselle. Nul exemple pour lui donner le nom de Madame ; c’étoit un honneur réservé aux filles de France, aux filles duchesses femelles, et depuis l’invention de Louis XIII que j’ai rapportée en son lieu, pour Mlle d’Hautefort, aux filles dames d’atours. Ces obstacles n’arrêtèrent ni la maîtresse ni son amant. Il lui fit don de la terre d’Argenton, et força la complaisance du roi, quoique avec beaucoup de peine d’accorder des lettres patentes portant permission à Mlle de Sery de prendre le nom de madame et de comtesse d’Argenton. Cela étoit inouï. On craignit les difficultés de l’enregistrement. M. le duc d’Orléans, prêt à partir et accablé d’affaires, alla lui-même chez le premier président et chez le procureur général, et l’enregistrement fut fait. Son choix pour l’Italie avoit été reçu avec le plus grand applaudissement de la ville et de la cour. Cette nouveauté ralentit cette joie et fit fort crier ; mais un homme bien amoureux ne pense qu’à satisfaire sa maîtresse et à lui tout sacrifier.

Tout se conçut, se fit et se consomma à cet égard sans que lui et moi nous nous en dissions un seul mot. Je fus fâché de la chose, et qu’il eût terni un départ si brillant par une singularité si bruyante et si déplacée. Mais ce fut tout, et je me fus fidèle à ce que je m’étois proposé, dès le moment que je rentrai en commerce avec lui, de ne lui parler jamais de