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que j’entrasse avec lui en beaucoup de choses. Je crus ne pourvoir lui rendre un meilleur service, à Chamillart et aux affaires, que de lui bien et nettement dire l’obligation qu’il avoit à Chamillart de le faire servir ; de lui bien faire entendre que, quelle que fût sa disproportion d’avec lui, un ministre demeuroit toujours le maître, et faisoit enrager les plus grands princes quand il vouloit ; que l’honneur, la reconnoissance, l’intérêt de sa gloire et de ce qu’il alloit manier, exigeoit entre eux un concert, une union, une franchise entière sur tout, une exclusion de tout genre de fripons, qui, pour pécher en eau trouble et pour leurs intérêts particuliers, voudroient semer de la défiance et les éloigner l’un de l’autre. Je lui représentai qu’il ne pouvoit douter de Chamillart, du caractère droit et vrai dont il étoit, qui l’ayant mis à la tête d’une puissante armée, ne tenant qu’à lui de le laisser oisif comme il étoit, n’oublieroit rien pour se maintenir dans la bienveillance qu’il devoit se promettre de ce service ; qu’une réflexion si naturelle le devoit continuellement tenir en garde contre ceux qui, sûrement ou jaloux ou ennemis de l’un et de l’autre, voudroient lui grossir les soupçons, les mécontentements, le chagrin, qui pouvoient naître avec le temps par le manquement involontaire de beaucoup de choses, qui ne se faisoit que trop sentir en beaucoup d’occasions partout. Il reçut avec amitié et avec plaisir ces considérations, m’expliqua fort au long ses instructions et ses ordres, et m’ordonna de lui écrire souvent et librement sur lui-même.

Il étoit depuis longtemps amoureux de Mlle de Sery. C’étoit une jeune fille de condition, sans aucun bien, jolie, piquante, d’un air vif, mutin, capricieux et plaisant. Cet air ne tenoit que trop ce qu’il promettoit. Mme de Ventadour, dont elle étoit parente, l’avoit mise fille d’honneur auprès de Madame ; là elle devint grosse, et eut un fils de M. d’Orléans. Cet éclat, la fit sortir de chez Madame. M. le duc d’Orléans s’attacha à elle de plus en plus. Elle étoit impérieuse