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au roi qu’il étoit maître de lui ôter le commandement de l’armée et de faire de lui tout ce qu’il lui plairoit, qu’il obéiroit avec soumission et sans se plaindre, mais qu’il n’attendît pas de lui qu’il en fût jamais de moitié. La résolution étoit prise, dès la première lettre, de le faire revenir, mais en couvrant ce retour de sa demande instante. À cette dernière, le roi se piqua et perdit patience et espérance de ramener un homme si fort égaré.

Pendant cette espèce de négociation de bonté avec lui, le roi avoit dépêché à M. de Vendôme pour lui proposer de venir commander l’armée de Flandre. Il lui étoit fatal de réparer les malheurs du maréchal de Villeroy, au moins d’être choisi pour cela. C’est ce qui, après l’affaire de Crémone, l’avoit mis à la tête de l’armée d’Italie. Vendôme, avec toutes ses thèses étranges, ses entêtements et ses appuis, sentoit alors toute la difficulté de réussir à Turin et de soutenir les affaires en Italie. Le prince Eugène et ses renforts de troupes arrivés aussitôt après le combat de Calcinato y avoient entièrement changé la face et le théâtre de la guerre. Vendôme, de victorieux et d’entreprenant, étoit réduit à la défensive ; et au milieu de tous ses tons avantageux s’en trouvoit fort embarrassé. Il regarda donc comme une délivrance la proposition qui lui étoit faite de quitter l’Italie. Il y laissoit, non pas à l’égard du pays ni des Impériaux, mais à l’égard de la cour et de ce qui s’appelle en France le monde, une réputation non entamée, qui lui avoit fait goûter, presque comme aux héros de l’ancienne Rome, tous les honneurs du triomphe au voyage qu’il venoit de faire à la cour et à Paris. Il fut comblé de joie de n’avoir point à la commettre, et de se tirer de la presse du beau-père et du gendre sur tout ce qu’il prévoyoit de Turin. Il se trouva flatté d’être regardé comme le réparateur, et à son aise en même temps sur l’emploi auquel il étoit appelé. Tout étoit regardé comme perdu en Flandre ; ce qu’il n’y pourroit soutenir ni réparer tomberoit sur celui qui y avoit