Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/163

Cette page n’a pas encore été corrigée

comme lui, représentèrent à la Grève en effigie. On verra en son temps leur diverse, mais incroyable catastrophe.

Les projets pour la campagne qui alloit commencer étoient dignes des années de la prospérité du roi et de ces temps heureux d’abondance d’hommes et d’argent, de ces ministres et de ces généraux qui par leur capacité donnoient la loi à l’Europe. Le roi voulut débuter par deux batailles, l’une en Italie, l’autre en Flandre ; devancer l’assemblée de l’armée impériale sur le Rhin et renverser les lignes des ennemis ; enfin, faire le siège de Barcelone et celui de Turin. L’épuisement de l’Espagne, celui où la France tomboit, répondoit peu à de si vastes idées. Chamillart, accablé sous le double ministère de Colbert et de Louvois, ressembloit peu à ces deux grands ministres, les généraux des armées aussi peu à M. le Prince, à M. de Turenne, et aux élèves de ces héros qui n’étoient plus. C’étoient des généraux de goût, de fantaisie, de faveur, de cabinet, à qui le roi croyoit donner, comme à ses ministres, la capacité avec la patente. Louvois, outré d’avoir eu à compter avec ces premiers généraux, se garda bien d’en former d’autres. Il n’en voulut que de souples et dont l’incapacité eût un continuel besoin de sa protection. Pour y parvenir, il éloigna le mérite et les talents, au lieu qu’on les recherchoit avant le comble de sa puissance. On tâchoit de les démêler de bonne heure dans les sujets ; on les éprouvoit par des commandements à part pour sonder leurs forces ; et, s’ils répondoient à ce qu’on en espéroit, on les poussoit. On leur faisoit faire des projets pour les former ; quand ils étoient bons, on les chargeoit de leur exécution. On s’appliquoit à démêler la nature de leurs fautes. Il y en avoit qui ne se pardonnoient point, parce qu’elles venoient de manque de fond ; pour les autres qui partoient de trop d’ardeur ou de surprise, on se souvenoit du grand mot de M. de Turenne : qu’il falloit avoir été battu pour devenir bon, et avoir fait des fautes pour se mieux instruire. Mais c’étoit des corps séparés ou des détachements,