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façon ou d’autre. Il sentoit l’indécence de la chose en elle-même et tout mon embarras, mais il n’osoit presser le roi. La raison de ces prolongations vint de quelque espérance de fléchir le pape sur l’abbé de La Trémoille, de presser la promotion de dix-neuf chapeaux vacants qui mettoit tout Rome en mouvement, et qui, par ce grand nombre, ne pouvoit plus guère se différer. Elle se différa pourtant, et il arriva que, sans avoir été déclaré, mon choix n’en fut pas moins public à Paris et à Rome. Mgr le duc de Bourgogne m’en lit un jour des honnêtetés à Marly, à la dérobée, quoique alors je ne fusse en aucune privance avec lui. Il trouvoit ces délais trop poussés, et sur ce que je lui répondis sur cet emploi avec modestie, il m’encouragea et me dit que je ne pouvois mieux commencer pour me former aux affaires et aux grandes places. Il ajouta qu’il étoit fort aise pour cela que je me fusse résolu de l’accepter, et par ce encore que le roi ne m’eût jamais pardonné le refus.

Tandis que j’étois ainsi en spectacle, la comtesse de La Marck mourut à Paris de la petite vérole. Elle étoit fille du duc de Rohan ; comme je l’ai dit lors de son mariage. Elle étoit amie intime de Mme de Saint-Simon, et fort aussi de Mme de Lauzun, anciennes compagnes de couvent. C’étoit une grande femme très bien faite, mais laide, avec un air noble et d’esprit qui accoutumoit à son visage. Elle avoit infiniment d’esprit, et elle l’avoit vaste, mâle, plein de vues, beaucoup de discernement, de justesse, de précision, un air simple et naturel, et une conversation charmante ; fort sûre, un peu sèche, et un cœur excellent, qui lui coûta la vie par les extravagants contrastes de sa plus proche famille. C’étoit une personne que les vues, l’ambition, le courage et la dextérité auroient menée loin ; aussi était-elle la bonne nièce de Mme de Soubise, qui l’aimoit passionnément. Son mérite la fit fort regretter. Mme de Saint-Simon la pleura amèrement, et j’en fus fort touché. Cinq ou six heures après avoir appris cette mort, il fallut aller danser, Mme