Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/98

Cette page n’a pas encore été corrigée

pas la peine de se cacher, et accrochoit de jeunes officiers qu’il adomestiquoit, outre de jeunes valets très bien faits, et cela sans voile, à l’armée et à Strasbourg ; glorieux jusqu’avec ses généraux et ses camarades, et ce qu’il y avoit de plus distingué, pour qui, par un air de paresse, il ne se levoit pas de son siège, alloit peu chez le général, et ne montoit presque jamais à cheval pendant les campagnes ; bas, souple, flatteur auprès des ministres et des gens dont il croyoit avoir à craindre ou à espérer, dominant sur tout le reste sans nul ménagement, ce qui mêloit ses compagnies et les esseuloit assez souvent. Sa grosse tête sous une grosse perruque, un silence rarement interrompu, et toujours en peu de mots, quelques sourires à propos, un air d’autorité et de poids, qu’il tiroit plus de celui de son corps et de sa place que de lui-même ; et cette lourde tête offusquée d’une perruque vaste lui donnèrent la réputation d’une bonne tête, qui toutefois étoit meilleure à peindre par le Rembrandt pour une tête forte qu’à consulter. Timide de cœur et d’esprit, faux, corrompu dans le cœur comme dans les mœurs, jaloux, envieux, n’ayant que son but, sans contrainte des moyens pourvu qu’il pût se conserver une écorce de probité et de vertu feinte, mais qui laissoit voir le jour à travers et qui cédoit même au besoin véritable ; avec de l’esprit et quelque lecture, assez peu instruit et rien moins qu’homme de guerre, sinon quelquefois dans le discours ; en tout genre le père des difficultés, sans jamais trouver de solution à pas une ; fin, délié, profondément caché, incapable d’amitié que relative à soi, ni de servir personne, toujours occupé de ruses et de cabales de courtisan, avec la simplicité la plus composée que j’aie vue de ma vie, un grand chapeau clabaud toujours sur ses yeux, un habit gris dont il couloit la pièce à fond, sans jamais d’or que les boutons, et boutonné tout du long, sans vestige de cordon bleu, et son Saint-Esprit bien caché sous sa perruque ; toujours des voies obliques, jamais rien de net, et se conservant partout des