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plupart gens de faciende[1], et de manège, où tout se savoit, où il se brassoit mille choses avec sûreté, parce que le roi aimoit Cavoye, et ne se défioit point de ce qui alloit chez lui. C’étoit un monde trayé, et ce qui étoit hors de ce cercle ne s’exposoit pas à l’y troubler.

M. de Lauzun, trop craint pour être jamais de quelque chose et qui le trouvoit fort mauvais, voulut au moites se divertir aux dépens de gens avec qui il n’avoit point d’accès. Il se mit au commencement d’un, long voyage de Marly à accoster Châteaurenauld, puis à lui dire que comme son ami il vouloit l’avertir que Cavoye et sa femme, qui se faisoient honneur de lui appartenir, se plaignoient de ce qu’il ne les voyoit point, et qu’il n’alloit jamais chez eux à Lucienne, où ils avoient toujours bonne compagnie, que c’étoit des gens que le roi aimoit, qui étoient considérés, qu’il ne falloit point avoir contre soi, quand on en pouvoit aussi aisément faire ses amis, et qu’il lui conseilloit comme le sien d’aller à Lucienne et souvent et longtemps, et de les laisser faire et dire ; qu’il l’avertissoit qu’ils avoient la fantaisie de recevoir froidement et de faire tout ce qu’il falloit pour persuader aux gens qu’ils ne leur faisoient pas plaisir d’aller chez eux, mais que c’étoit un jargon et une marotte, que chacun avoit ses manières et sa fantaisie, que telle étoit la leur ; mais qu’au fond ils seroient outrés qu’on les en crût et qu’on s’y arrêtât, et que la preuve en étoit au monde qui partout, et surtout à Lucienne abondoit chez eux. Le maréchal fut ravi de recevoir un avis si salutaire, se prit à se disculper sur Cavoye, à remercier, et surtout à assurer M. de Lauzun qu’il profiteroit de ses bons conseils. Celui-ci lui fit entendre qu’il ne falloit jamais faire semblant qu’il lui eût donné cet avis, et le quitta bien résolu au secret et à s’établir promptement à Lucienne.

Il ne tarda pas à y aller. À son aspect, voilà tout en

  1. Vieux mot synonyme de cabale.