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voulut faire engraisser un à Nanteuil de même. On le fit, et quand il fut bien gras on le lui manda. Lui compta qu’en continuant à le nourrir, il engraisseroit bien davantage. Cela dura ainsi plus de deux ans, et toujours en veufs et en lait, dont les comptes allèrent fort loin pour en faire enfin un taureau qui ne fut bon qu’à en faire d’autres. Avec cela grand chimiste, grand ennemi des médecins, il donnoit de ses remèdes et y dépensoit fort à les faire, et, de la meilleure foi du monde, se traitoit lui-même le premier. Il vécut toujours fort bien avec sa femme, elle avec lui, chacun à leur manière.

Châteaurenauld, du nom de Rousselet, inconnu entièrement avant le mariage de son bisaïeul avec une sœur du cardinal et du maréchal de Retz, à l’arrivée obscure des Gondi en France, fut le plus heureux homme de mer de son temps, où il gagna des combats et des batailles, et où il exécuta force entreprises difficiles, et fit beaucoup de belles actions. L’aventure de Vigo, racontée ailleurs, ne dut pas lui être imputée, mais à l’opiniâtreté des Espagnols à qui il n’en put persuader le danger. Elle eut pourtant besoin de toute la protection de Pontchartrain auprès du roi. Ce secrétaire d’État s’étoit coiffé de Châteaurenauld, et il étoit de plus bien aise de décorer la marine. La promotion de ce vice-amiral fut fort applaudie ; il y avoit longtemps qu’il avoit mérité le bâton.

C’étoit un petit homme goussaut, blondasse, qui paraissoit hébété, et qui ne trompoit guère. On ne comprenoit pas à le voir qu’il eût pu jamais être bon à rien. Il n’y avoit pas moyen de lui parler, encore moins de l’écouter, hors quelques récits d’actions de mer. D’ailleurs bon homme et honnête homme.

Depuis qu’il fut maréchal de France il alloit assez souvent à Marly, où quand il s’approchoit de quelque compagnie, chacun tournoit à droite et à gauche.

Il étoit Breton, parent de la femme de Cavoye qui avoit une maison charmante à Lucienne tout auprès de Marly, où Cavoye alloit souvent dîner avec bonne compagnie et la