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fort à lui faire donner la survivance de cette charge en 1684, à l’âge de vingt-quatre ans, mais à condition de passer un certain nombre d’années par les degrés, et que son ancienneté de lieutenant général ne lui seroit comptée que du jour qu’il lui seroit permis d’en servir. Seignelay, maître de l’expédition, et ministre audacieux qui savoit nuire et servir mieux que personne, omit exprès cette dernière condition. Le comte d’Estrées, servant à terre au siège de Barcelone, prise en 1697 par M. de Vendôme, prétendit, sinon ne pas rouler avec les lieutenants généraux comme viceamiral ayant amené là une escadre, au moins être le premier d’entre eux. Sur cette dispute, Pontchartrain, encore secrétaire d’État de la marine et ami particulier de tous les Estrées, trancha la difficulté en faisant remonter l’ancienneté du comte d’Estrées à la date de sa survivance ; il l’emporta sur la mémoire du roi, qui se souvenoit très bien de la condition qu’il avoit commandée et qui se trouva omise, et de cette façon cette ancienneté demeura fixée à l’année 1684. Lorsqu’il fut question de faire ces maréchaux de France, Châteaurenauld, l’autre vice-amiral qu’on voulut faire, se trouva moins ancien lieutenant général et vice-amiral que le comte d’Estrées. Ce dernier avoit pour lui Pontchartrain père et fils, qui pour la marine vouloient avoir deux bâtons ; et mieux qu’eux alors, le groupe des Noailles, dont la faveur étoit au plus haut point, la considération du maréchal et du cardinal d’Estrées, celle des enfances de la comtesse d’Estrées, dont le roi s’amusoit beaucoup. Le sujet de plus n’avoit contre lui qu’un âge disproportionné de celui des autres candidats ; il avoit vu beaucoup d’actions par terre et par mer, et commandé en chef en la plupart des dernières avec succès, réputation et beaucoup de valeur ; il entendoit bien la marine, étoit appliqué, avec de l’esprit et du savoir. Tout cela ensemble, fondé sur le bonheur de sa survivance à vingt-quatre ans, et du trait hardi de Seignelay, le fit huit ans après maréchal de France.