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pressé plus d’une fois de lui faire prendre son tabouret ; elle n’y voulut jamais consentir, et se borna à plaire et à avoir soin de M. de Saint-Aignan dans l’intérieur de sa maison sans vouloir se produire, mais portant la housse et le manteau ducal. Sa conduite gagna la vertu de M. et de Mme de Beauvilliers, qui, à la mort de M. de Saint-Aignan, prirent soin d’elle et de leurs enfants comme des leurs, avec qui ils furent élevés et avec la même amitié : ce trait, soutenu en tout et toute leur vie, n’en est pas un des moindres traits. Le mariage se fit à petit bruit à Vaucresson, petite maison de campagne que le duc avoit achetée à portée de Versailles et de Marly, où il se retiroit le plus souvent que ses emplois le lui pouvoient permettre.

Le vieux duc de Gesvres, à quatre-vingts ans, se remaria peu de jours après à Mlle de La Chénelaye, du nom de Romillé, belle et bien faite et riche, que l’ambition d’un tabouret y fit consentir. Le roi l’en détourna tant qu’il put lorsqu’il lui en vint parler, mais le bonhomme ne sachant faire pis à son fils, à qui ce mariage fit grand tort, n’en put être dissuadé. Il voulut faire le gaillard au souper de la noce, il en fut puni, et la jeune mariée encore plus : il fit partout dans le lit, tellement qu’il en fallut passer une partie à les torcher et à changer de tout. On peut juger des suites d’un tel mariage. La belle en usa pourtant bien et en femme d’esprit : elle se rendit si bien maîtresse de celui de son mari, qu’elle le raccommoda avec son fils, lui fit signer une cession de ses biens pour qu’il ne se ruinât pas davantage, et la démission de son duché avant l’année révolue : on admira comment elle avoit pu en venir à bout.

Aussi, l’union entre elle et le marquis de Gesvres a-t-elle été constante depuis, et s’est continuée avec ses enfants, qui tous ont toujours eu une grande considération pour elle ; du reste, elle ne se contraignit pas d’ellemême elle étoit riche.