Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 4.djvu/55

Cette page n’a pas encore été corrigée
doctrinaux. — Chamilly de retour de Danemark ; sa fâcheuse méprise ; celle de d’Avaux. — Mort du cardinal Cantelmi ; du duc d’Albemarle ; de Champflour, évêque de la Rochelle ; de Brillac, premier président du parlement de Bretagne. — Mariage du duc de Lorges avec la troisième fille de Chamillart. — Mon intime liaison avec Chamillart, qui me demande instamment mon amitié.


La duchesse de Gesvres mourut dans le même temps, séparée d’un mari fléau de toute sa famille, et qui lui avoit mangé des millions. Son nom était du Val. Elle étoit fille unique de Fontenay-Mareuil, ambassadeur de France à Rome, du temps de l’entreprise du duc de Guise à Naples. C’étoit une espèce de fée, grande et maigre, qui marchoit comme ces grands oiseaux qu’on appelle des demoiselles de Numidie. Elle venoit quelquefois à la cour ; et avec du singulier et l’air de la famine où son mari l’avoit réduite, elle avoit beaucoup de vertu, d’esprit, et de la dignité. Je me souviens qu’un été que le roi s’étoit mis à aller fort souvent les soirs à Trianon, et qu’une fois pour toutes il avoit permis à toute la cour de l’y suivre, hommes et femmes, il y avoit une grande collation pour les princesses ses filles, qui y menoient leurs amies, et où les autres femmes alloient aussi quand elles vouloient. Il prit en gré un jour à la duchesse de Gesvres d’aller à Trianon et d’y faire collation.

Son âge, sa rareté à la cour, son accoutrement et sa figure excitèrent ces princesses à se moquer tout bas d’elle avec leurs favorites. Elle s’en aperçut, et, sans s’en embarrasser, leur donna leur fait si sec et si serré, qu’elle les fit taire et leur fit baisser les yeux. Ce ne fut pas tout : après la collation elle s’expliqua si librement mais si plaisamment sur leur compte, que la peur leur en prit au point qu’elles lui firent faire des excuses, et tout franchement demander quartier. Mme de Gesvres voulut bien le leur accorder, mais leur fit dire que ce n’étoit qu’à condition qu’elles apprendroient à vivre. Oncques depuis elles n’osèrent la regarder entre deux yeux. Rien n’étoit si magnifique que ces soirées de