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à remédier à tout, et à profiter de ce qui auroit échappé à d’autres généraux.

Plus jaloux de la gloire d’autrui que de la sienne, il la donnoit tout entière à qui la méritoit, et sauvoit les fautes avec une bonté paternelle. Aussi était-il adoré, dans les armées, des troupes et des officiers généraux et particuliers, dont la, confiance en lui étoit parfaite par estime. Sa compagnie des gardes avoit pour lui le même amour. Mais ce qui est bien rare, c’est que la cour si jalouse, et où chacun est si personnel, ne le chérissoit pas moins, et qu’excepté M. de Louvois, et encore sur le compte de M. de Turenne, il n’eut pas un ennemi, et s’acquit l’estime universelle jusqu’à une sorte de vénération. Rien n’étoit égal à sa tendresse et à sa douceur dans sa famille, et au réciproque dont il jouissoit. Il traita toujours en tout ses neveux comme ses enfants : il avoit beaucoup d’amis, et d’amis véritables ; il sentoit tout le prix des gens et celui de l’amitié, parce que personne n’en étoit plus capable et n’avoit un meilleur discernement que lui ; au reste, grand ennemi des fripons, leur fléau sans ménagement, et l’homme qui, avec le plus de simplicité et de modestie, conservoit le plus de dignité et s’attiroit le plus de considération et de respect. Le roi même, qui l’aimoit, le ménageoit ; il lui disoit sans détour toutes les vérités que ses emplois l’obligeoient à ne lui point dissimuler, et il en étoit cru par l’opinion générale de sa vérité. Avec le respect qu’il devoit au roi, il étoit hardi à rompre pour les malheureux ou pour la justice des glaces qui auroient fait peur aux plus favorisés, et plus d’une fois il a forcé le roi à se rendre, même contre son goût. Dans sa pauvreté, et depuis à la tête des armées, son désintéressement fut sans pareil, et les sauvegardes dont, au moins en pays ennemi et qui les demande, les généraux croient pouvoir profiter, jamais il n’en souilla ses mains : il avoit, disoit-il, appris cette leçon de M. de Turenne.

Tous les Bouillon lui étoient singulièrement chers à cause