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mariage étrangement inégal, mais dans lequel il trouvoit les ressources dont il ne se pouvoit passer pour le présent, et pour fonder une maison. Il y rencontra une épouse qui n’eut des yeux que pour lui malgré la différence d’âge, qui sentit toujours avec un extrême respect l’honneur que lui faisoit la naissance et la vertu de son époux, et qui y répondit par la sienne, sans soupçon et sans tache, et par le plus tendre attachement. Lui aussi oublia toute différence de ses parents aux siens, et donna toute sa vie le plus grand exemple du plus honnête homme du monde avec elle, et avec toute sa famille, dont il se fit adorer. Il trouva de plus dans ce mariage une femme adroite pour la cour et pour ses manèges, qui suppléa à la roideur de sa rectitude, et qui, avec une politesse qui montroit qu’elle n’oublioit point ce qu’elle étoit née, joignoit une dignité qui présentoit le souvenir de ce qu’elle étoit devenue, et un art de tenir une maison magnifique, les grâces d’y attirer sans cesse la meilleure et la plus nombreuse compagnie, et, avec cela, le savoir-faire de n’y souffrir ni mélange, ni de ces commodités qui déshonorent les meilleures maisons, sans toutefois cesser de rendre la sienne aimable, par le respect et la plus étroite bienséance qu’elle y sut toujours maintenir et mêler avec la liberté.

Incontinent après ce mariage, M. le maréchal de Lorges en sentit la salutaire utilité ; la fortune qui l’avoit tant fait attendre sembla vouloir lui en payer l’intérêt. Le maréchal de Rochefort, capitaine des gardes du corps, mourut. Il étoit le favori de M. de Louvois, qui à la mort de M. de Turenne l’avoit fait faire maréchal de France avec les autres, dont le François, fertile en bons mots, disoit que le roi avoit changé une pièce d’or en monnaie. Quoique M. de Duras fût déjà capitaine des gardes du corps, M. son frère fut choisi pour la charge qui vaqua et qu’il n’auroit pu payer, ni même y songer sans son mariage. Ainsi les deux frères, maréchaux de France, furent aussi tous deux capitaines