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 « Il faut que le roi porte par une autorité absolue le correctif nécessaire. Toute l’Espagne parle comme moi, et c’est à la veille de débonder si le gouvernement despotique de la reine subsiste, et il n’est ni petit ni grand qui n’en ait par-dessus la tête, et le roi d’Espagne et tout ce que vous connoissez ici d’honnêtes gens ne respirent que les ordres absolus du roi pour s’y soumettre aveuglément. Mon honneur, ma conscience, mon zèle et nia fidélité intègre et incorruptible pour le bien du service de mon maître, m’obligent à lui parler de la sorte ; quiconque sera capable de lui parler autrement le trompera avec indignité. L’Espagne est perdue sans ressource ci le gouvernement reste comme il est, et que le roi notre maître n’en prenne pas seul le timon. Le cardinal Portocarrero, Mancera, Montalte, San-Estevan, Monterey, Montellano [1], et généralement tout ce qu’il y a de meilleur et de véritablement attaché à la monarchie, concertent tous le moyen d’en parler au roi et de lui en parler clairement. Que le roi ne se laisse donc pas abuser par les discours, et qu’il s’en tienne à la vérité, que j’ai l’honneur de lui mander par vous. Le marquis de Monteléon, qui est un homme plein d’honneur et d’esprit, part incessamment pour vous aller confirmer de bouche ce que j’ai l’honneur de mander au roi.

« De l’argent, nous en allons avoir, même considérablement, et l’on vient de faire une affaire de quatorze millions de livres, qu’on n’imaginoit pas qui s’osât jamais tenter, et que, depuis Charles-Quint, nul homme n’avoit eu la hardiesse de proposer. Nous aurons la plus belle cavalerie qu’on puisse avoir ; quant à l’infanterie, l’on ne perd pas un instant à songer aux moyens de la remettre ; il y aura des fonds fixes et affectés pour la guerre, qui seront inaltérables ; et si nous pouvons reprendre Gibraltar, on sera en état de faire une campagne heureuse. J’espère pareillement venir à bout du commerce des Indes. Après cela, si le roi imagine que quelqu’un fasse mieux à ma place, je m’estimerai très heureux de me retirer, et je ne lui demande pour toute récompense que de me rapprocher de sa personne, d’avoir encore le plaisir, avant de mourir, de lui embrasser les genoux, et de songer ensuite à finir comme un galant homme le doit faire.

« Tout ce que je vous demande là, monsieur, est d’une si terrible conséquence pour le roi d’Espagne et pour moi, que je vous supplie qu’il n’y ait que le roi, et vous, et Mme de Maintenon qui le sachent. J’ai raison, monsieur, de vous en parler de la sorte. Tout ce qui regarde la reine d’Espagne lui revient dans l’instant, je n’en puis douter ; ainsi les précautions doivent renouveler de jambes. Depuis le

  1. Voy., dans le tome III des Mémoires de Saint-Simon, p. 4 et suiv., le caractère des principaux membres du conseil de Philippe V.