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maréchal de Tessé, sort de me dire qu’il est vrai que M. de Tessé a donné des espérances à la reine du retour de Mme des Ursins auprès d’elle ; mais tout ce qu’il a fait à cet égard, il l’a fait par ordre. Si j’ajoutois une foi entière à ce qu’il m’a fait dire, la chose seroit décidée ; mais comme mon ordre est contraire, et que vous voulez que je vous dise précisément ce que je pense sur ce retour, je vais le faire avec toute la vérité dont je suis capable.

« S’il étoit dans la nature de Mme des Ursins de pouvoir revenir ici avec un esprit d’abandon et de dévouement entier aux volontés et aux intérêts du roi, et que l’ambassadeur de Sa Majesté, je ne dis pas moi, mais qui que ce pût être, et elle, ne fussent qu’un, et que tous deux agissent de concert sur toutes choses, sans bricoles quelconques, et que, par ce moyen, la reine d’Espagne ne se mêlant plus de rien que de ce que l’on voudroit, et qu’il pût paroître par là aux Espagnols que ce n’est plus la reine et sa faction qui gouvernent l’Espagne, qui est la chose du monde qu’ils ont le plus en horreur, et la plus capable de leur faire prendre un parti extrême, rien alors, selon moi, ne peut être meilleur que de faire revenir Mme des Ursins ; mais comme ce que je dis là n’est pas la chose du monde la plus certaine, et que le roi d’Espagne me l’a dit, et qu’il craint de retomber où il s’est trouvé, le tout bien compensé, je crois que c’est coucher gros et risquer beaucoup que de s’y commettre, et je dois vous dire que les trois quarts de l’Espagne seront au désespoir, que les factions renouvelleront de jambes, et que, de tous les Espagnols, celui qui sera le plus fâché intérieurement sera le roi d’Espagne, de se revoir tomber dans le temps passé, qui est sa bête.

« La reine d’Espagne le force d’écrire sur un autre ton, et il ne peut le lui refuser, parce qu’il est doux et qu’il ne veut point de désordre ; mais en même temps il me charge par la voie secrète d’écrire au roi naturellement ce qu’il pense, et il le lui confirme par la lettre ci-jointe de sa main, que je vous envoie [1]. En un mot, monsieur, le roi ne sera jamais maître de ce pays-ci qu’en décidant sur tout par lui-même, qui est tout ce que le roi son petit-fils désire, pour se tirer de l’esclavage où il est, d’avoir une espèce de salve l’honor à l’égard de la reine ; et les Espagnols ne demandent autre choie que d’être gouvernés par leur roi. Je vous parlerois cent ans que je ne vous dirois pas autre chose ; c’est ce que vous pouvez dire au roi tête à tête, sans que cela aille au conseil, par les raisons que je vous ai déjà dites. Je vous mande la vérité toute nue, et comme si j’étois prêt à paroître devant mon Dieu. C’est ensuite au roi, qui a meilleur esprit que tous tant que nous sommes, de prendre sur cela le parti qui lui conviendra.

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  1. Lettre du 15 janvier 1705.